[CRITIQUE] Babylon – Chantons sous la couleur

Près de quatre ans après First Man, Damien Chazelle, un des prodiges de cette nouvelle génération de cinéastes, revient avec Babylon, une fresque de 3 heures sur le Hollywood des années folles, et le passage du cinéma muet au parlant. Porté par les deux comédiens brillants que sont Margot Robbie et Brad Pitt, ainsi que la révélation Diego Calva, le long-métrage nous plonge dans une aventure vertigineuse au sein des coulisses d’Hollywood où l’on ne se refuse rien en dehors (et sur) des plateaux de tournage : un océan de débauche où le sexe, l’alcool, la drogue et la violence sont des lieux communs.

Une exploration délirante qui n’est pas sans rappeler les excès du Loup de Wall Street de Martin Scorsese. Cependant, Chazelle use d’une grammaire bien à lui, où les mouvements de caméra et le montage donnent au film un rythme ahurissant, faisant parfois écho à la frénésie de Whiplash. Un sens du tempo digne d’un chef d’orchestre dont le cinéaste franco-américain a déjà prouvé la maîtrise, et qui se marie parfaitement avec les partitions euphorisantes de Justin Hurwitz, son compositeur attitré. La première heure, culminant sur la fin d’une journée de tournage dans le désert, illustre à merveille cette maestria. Les scènes se déroulant sur les plateaux de tournage, comme celle du premier film parlant dans lequel joue Nellie, sont d’ailleurs souvent les plus intéressantes, permettant de capter à la fois l’évolution de l’artisanat, du muet au parlant, les difficultés d’adaptation inhérentes, mais aussi la magie du cinéma tout simplement. 

© 2022 Paramount Pictures. All Rights Reserved.

Cependant , la seconde moitié du film, consacrée au déclin des stars du cinéma muet, ne parvient pas être aussi passionnante que l’ascension, notamment à cause du développement du personnage de Margot Robbie. On comprend peu à peu que si elle n’arrive pas à maintenir sa carrière à flots, c’est parce qu’elle s’auto-saborde avec un comportement outrancier que la société américaine (trop conservatrice) ne tolère plus. Certes, la voir insulter et vomir sur des bourgeois a quelque chose de réjouissant, mais le fait est qu’elle ne fait réellement aucun effort et doit compter systématiquement sur son ami Manny pour la tirer d’affaires. Difficile d’être totalement en empathie avec elle, surtout que son arc narratif prend beaucoup de place, au détriment par exemple de Sidney Palmer, qui lui vit une sorte d’instrumentalisation raciale et aurait mérité plus de temps d’écran. Ce que traverse le personnage de Brad Pitt est totalement dramatique et s’impose comme le cœur émotionnel du film, rendant également la trajectoire de Nellie LaRoy assez peu intéressante en comparaison.

© 2022 Paramount Pictures. All Rights Reserved.

Néanmoins, Chazelle ne perd pas de vue son propos sur la transition de l’industrie, et crée des ponts explicites avec Chantons Sous la Pluie, qui traitait déjà du même sujet, afin d’offrir une plus grande incarnation historique à son récit, et de célébrer des moments de vie imprimés sur pellicule pour l’éternité. Si le cinéaste vient terminer son film sur le regard lourd de sens d’un personnage, comme dans le reste de sa filmographie, cette scène finale pourtant très belle se retrouve entachée par un montage best-of du cinéma, digne des Oscars ou des récentes pubs Rolex. Briser le 4ème mur pour rendre hommage à la puissance du cinéma en passant par Buñuel, Godard, Jurassic Park, Matrix, puis Avatar a pour avantage de flatter les goûts des spectateurs, mais ne fait que surligner un message déjà parfaitement compréhensible tout au long du film et jusqu’ici dans cette séquence. Alors que la simple diffusion des images tournées pendant le film a du sens, en les liant à la matérialité de la pellicule, des couleurs… Une faute de goût indigne de Chazelle qui cède à la facilité au lieu de faire confiance à ce qu’il a filmé lui-même.

Si Babylon n’est pas son meilleur film, et qu’il divisera sans doute le public, Damien Chazelle démontre encore une fois à quel point il est doué, avec des fulgurances de mise en scène mémorables, ringardisant davantage les essais d’un certain Baz Lurhmann de filmer la débauche. Une première moitié de film passionnante et électrisante, comme une montagne russe dont on ne souhaite pas descendre, et une seconde moitié tendant plus vers la mélancolie et la dépression, malgré quelques scènes assez délirantes, rendant le tout moins homogène mais tout de même intéressant. Assurément un des films à ne pas rater cette année.

Babylon de Damien Chazelle, 3h09, avec Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva – Au cinéma le 18 janvier 2023.

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