[ANALYSE] Prix Lumière 2023 – Wim Wenders & Paris, Texas (Festival Lumière 2023)

Ces quelques jours passés au Festival Lumière nous ont permis de nous immerger pleinement dans le cinéma de patrimoine. Créé par Thierry Frémaux en 2009, le prix Lumière récompense un ou une cinéaste pour tout ce qu’il ou elle a pu apporter au septième art, un « Prix Nobel » du cinéma comme certains l’entendent. Une façon de récompenser cette idylle si intime que partage l’artiste avec le cinéma, à travers les œuvres de ce dernier ou de cette dernière. Dans son livre Sélection officielle (2023), Frémaux évoque sa volonté, lorsqu’il est devenu programmateur à l’Institut en 1990, de constituer une rétrospective sur Wim Wenders. Seulement, loin d’être considéré comme cinéma de patrimoine à l’époque, Wenders passe à la trappe pour sa contemporanéité. Trente ans plus tard, en octobre 2023, nous retrouvons Wim Wenders sur la scène du Centre du Congrès de Lyon, le prix Lumière entre ses mains.

Au cours de sa masterclass tenue dans le théâtre des Célestins, Wenders évoque son rapport au cinéma et plus globalement à l’image. Nous suivons, tout au long du dialogue, le cheminement de son école de cinéma jusqu’à son succès dans le domaine artistique. Dans une Allemagne encore divisée en deux, la solidarité submerge le groupe d’amis et d’étudiants auquel appartient le jeune allemand. Wim, équipé d’une caméra, se retrouve finalement à être le chef opérateur de ce groupe, prêtant ainsi sa caméra à chacun dans le but de tourner les films de tout le monde. Un rôle qui le mènera même jusqu’en garde à vue à un moment donné, la police n’appréciant guère l’activité filmique et prenant Wim pour le meneur du groupe.

L’ENIVRANT RAPPORT DE WENDERS À L’IMAGE

Dès ses prémices dans l’art et même dès son plus jeune âge, Wenders entretient cette relation particulière avec la création filmique, il énonce dans la presse française (numéro hors-série de Libération) en mai 1987, « La caméra c’est l’arme du regard contre la misère des choses, qui est : disparaître. ». Un rapport lancinant à la cinématographie et à l’art visuel que l’on retrouve à travers ses œuvres, plus diverses les unes que les autres. Outre la rétrospective, l’Institut nous partage également son rapport à l’image avec des expositions photos. On retrouve, au milieu de la capitale des gones, trois expositions. Nous nous plongeons dans son univers à la fois artistique et intime relevant de sa vie personnelle, avec un regard que l’on pose sur les nombreuses photographies qu’il a pu prendre au cours de sa vie, toutes bercées par les anecdotes du photographe. L’exposition « Arrêt sur image » retrace la filmographie de Wim, prenant appui sur l’idée que chaque plan du film constitue à lui seul une façon de conter l’histoire. Les images arpentent les moindres recoins de la vie dans le but de leur donner forme et transmettre les histoires qu’elles ont à partager.

PARIS, TEXAS COMME L’HYMNE DE DEUX MONDES

Au cœur de l’affiche de cette 15e édition du festival, fleurit la silhouette de Nastassja Kinski. Plan tiré du film Paris, Texas (1984), son œuvre est mise en lumière (sans mauvais jeu de mot) dans toute la ville. Dans ce long-métrage où l’on suit le périple de Travis (incarné par Harry Dean Stanton), ce dernier émerge du désert après quatre ans de disparition, et suite à l’abandon de son fils et de sa compagne qui a elle aussi disparu. La dimension géographique du film passe d’abord par ce qui est le plus flagrant : son nom. Paris, Texas incarne pour Wenders « l’essence de l’Europe et de l’Amérique » (entretien publié dans le n°400 des Cahiers du cinéma, octobre 1987). S’étant toujours considéré comme européen et surtout allemand, au fond de son cœur, le film concilie les deux continents. Le choix de l’actrice n’est par conséquent pas un hasard. Seule Kinski est européenne, la seule que Wenders désirait dans son film, un lien encore une fois établi entre les deux mondes. Une façon de placer une partie de son cœur dans ce vaste univers qu’est l’Amérique.

© Tamasa Distribution

Cette idée d’une Amérique grandiose survient dans l’esprit du cinéaste en amont. Après avoir fait part de sa volonté à Sam Shepard, son scénariste, de tourner dans l’Amérique entière, de parcourir ses quatre coins, Shepard finit par lui répondre « Tu n’as pas besoin de tous ces zigzags, tous les États-Unis sont déjà dans le Texas. ». Dans cette version miniature du pays, on retrouve finalement toutes sortes de villes, de la plus petite à la plus grande. Paris, Texas représente non seulement le lien que Wenders entretient avec l’Europe, mais reflète également cette vision grandiose si particulière des États-Unis : ainsi ponctués de déserts immenses, ou encore d’un Los Angeles non pas représenté par un urbanisme prononcé mais tel qu’une grande banlieue. L’immensité de ces décors colorés et chauds contrastent avec l’image que l’on puisse avoir de la capitale française, deux continents aux cultures et paysages bien différents. Paris, Texas nous promène sur ces imposantes routes à travers le pays, évidemment accompagné d’une photographie tout aussi sublime et prenante que son histoire. Un film qui aura valu au réalisateur, la Palme d’or en 1984.

Wim Wenders incarne, dans les années 1970, l’arrivée du nouveau cinéma allemand. Il ne se considère aujourd’hui non pas comme un « survivant » mais comme un « vivant » du cinéma, faisant vivre cet art qui apporte de la clarté dans nos vies quotidiennes, tel un fragment de lumière.

Paris, Texas de Wim Wenders, 2h27, avec Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski, Hunter Carson – sorti le 19 septembre 1984

9/10
Note de l'équipe
  • Kimly Del Rosario
    9/10 Exceptionnel
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