[RETOUR SUR] Perfect Days – Un allemand à Tokyo (Festival Lumière 2023)

Cette année, le Festival Lumière met en avant le cinéaste allemand Wim Wenders. Lauréat de nombreux prix, que ce soit le Lion d’or pour L’État des Choses, la Palme d’or pour Paris, Texas, ou même un César pour son documentaire Le Sel de la Terre, le metteur en scène a marqué ses pairs à travers une diversité de créations, que ce soit des fictions, des documentaires, des photos, ou encore des essais. Pour le grand public, il restera le réalisateur de Paris, Texas, offrant à Harry Dean Stanton son rôle le plus mémorable, ou celui qui a mis en scène le magnifique conte Les Ailes du Désir, avec Bruno Ganz. Allemand, Wenders a tourné dans de nombreux pays, que ce soit aux États-Unis pour sa Palme d’or, mais aussi à Cuba, au Brésil, ou en Indonésie. Et pour son nouveau film de fiction, puisque sort en ce mois d’octobre son documentaire Anselm, il s’est rendu au Japon, un pays qu’il avait déjà visité, notamment pour son documentaire Tokyo-Ga traitant de Yasujirō Ozu. Pour sa nouvelle escapade au pays du soleil levant, il s’entoure notamment de Kōji Yakusho, un grand acteur japonais, notamment reconnu chez Kiyoshi Kurosawa.

Déjà auréolé du prix du jury œcuménique et du prix d’interprétation pour Yakusho cette année à Cannes, Perfect Days raconte le quotidien d’un agent d’entretien des toilettes publiques japonaises, que l’on suivra dans ses tâches journalières et les quelques évènements auxquels il fera face.

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Lorsqu’un réalisateur s’expatrie, cela crée souvent des films assez étranges, où le style du cinéaste ne s’harmonise pas nécessairement avec ce nouveau pays. On pourrait citer My Blueberry Nights de Wong Kar-wai ou plus récemment Les Bonnes Étoiles d’Hirokazu Kore-eda, qui sont deux des films les plus faibles de leurs réalisateurs, tant les codes du pays d’origine du réalisateur et du pays de tournage peuvent différer. Pourtant, il faut reconnaître à Wim Wenders qu’il se fond parfaitement dans ces paysages japonais. Peut-être est-ce dû au fait qu’il met en scène un personnage qui ne côtoie pas les zones les plus chatoyantes de Tokyo. Toujours est-il que le réalisateur évite les clichés concernant le pays. Cet agent d’entretien se déplace énormément, permettant ainsi de découvrir plusieurs quartiers de Tokyo, assez inédits, ou du moins inhabituels, ainsi que les beaux parcs de la ville.

Une autre des grandes forces du film est son minimalisme, particulièrement visible dans le jeu de son interprète principal, qui a peu de dialogues, mais cela ne l’empêche pas de livrer une performance émouvante, empreinte de subtilité. Chacun des traits de son visage est parfaitement souligné par Wenders. Perfect Days est un film qui souhaite mettre en lumière le quotidien, en scénarisant des gestes en apparence futiles et répétés au fil des jours. On parcourt avec Yakusho ses journées, les interactions qu’il a avec les rares personnages qui lui parlent, et quand bien même ce travail nous paraîtrait laborieux, jamais le sourire ne disparaît du visage de notre protagoniste mutique, qui semble apprécier chaque moment de sa vie, du lever au coucher.

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Mais derrière cette célébration des petits gestes et des laissés pour compte de la vie tokyoïte, le long-métrage cache un sublime drame, à travers les personnages secondaires de son récit. Ce n’est pas directement Yakusho qui apporte cette dimension tragique, car il reste dans cette volonté de joie inconditionnelle, mais plutôt les différentes rencontres qu’il fait. Ces personnes, il les aide, et en retour, elles lui viennent en aide. Ces interactions à un moment charnière de la vie de chacun ne dévient pas Perfect Days de son objectif de mettre en scène les gestes quotidiens et futiles de la vie, et elles constituent le puissant cœur émotionnel de celui-ci.

Wim Wenders approche bientôt de ses 80 ans, a visité de nombreux pays du monde, a traité de nombreux sujets, et a été récompensé pour ses travaux. Pourtant, avec Perfect Days, on découvre une nouvelle facette de son cinéma déjà très riche. Peut-être que le film révèle cette facette grâce à l’atmosphère si particulière du Japon, que nous n’avions jamais vue à travers sa caméra étrangère dans une fiction. Toujours est-il que le récipiendaire du Prix Lumière 2023 signe, 53 ans après ses premiers pas en tant que réalisateur, un film intimiste, maîtrisé, et profondément touchant, qui se classe parmi les meilleurs de cette belle année cinématographique.

Perfect Days de Wim Wenders, 2h03, avec Koji Yakusho, Min Tanaka, Arisa Nakano – Au cinéma le 29 novembre 2023.

8/10
Note de l'équipe
  • Alexeï Paire
    8/10 Magnifique
    Wim Wenders approche bientôt de ses 80 ans, a visité de nombreux pays du monde, a traité de nombreux sujets, et a été récompensé pour ses travaux. Pourtant, avec Perfect Days, on découvre une nouvelle facette de son cinéma déjà très riche. Peut-être que le film révèle cette facette grâce à l'atmosphère si particulière du Japon, que nous n'avions jamais vue à travers sa caméra étrangère dans une fiction. Toujours est-il que le récipiendaire du Prix Lumière 2023 signe, 53 ans après ses premiers pas en tant que réalisateur, un film intimiste, maîtrisé, et profondément touchant, qui se classe parmi les meilleurs de cette belle année cinématographique.
  • Cécile Forbras
    7/10 Bien
    Le film manque cruellement d'un positionnement politique plus fort. Le message du film, c'est un "profite de l'instant présent" qui renie l'aliénation systémique que vit cet homme. Et Wenders aurait plus explorer ça sans pour autant faire du misérabilisme ou tomber dans un traitement trop cliché. Pour moi, le "carpe diem" ressemble à une phrase aliénante ancrée dans la société par les personnes privilégiées et dominantes. Le propos du film manque de subtilité et de nuances. Il aurait fallu traiter davantage des oppressions systémiques. Wenders a eu plusieurs occasions de le faire, sans jamais qu'il les creuse un minimum. Sinon, j'ai beaucoup apprécié la mise en scène, notamment les jeux de lumière qui sont sublimes. La performance de Yakusho Kōji est très touchante.
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