[ANALYSE] Les Sept Samouraïs (1954) – Le chanbara ultime ?

Akira Kurosawa était un metteur en scène de génie, on le sait. Fervent admirateur du cinéma américain de John Ford comme de l’écriture d’un William Shakespeare, ce n’est pas par hasard qu’il affectionnait tant le genre du chanbara (film de sabre japonais) lui permettant de revisiter ses influences majeures (voir les shakespeariens Ran et Le Château de l’Araignée, la mise en scène de John Ford pour les grands angles et la construction des récits) tout en leur apportant sa touche personnelle.

En reprenant les codes du jidai-geki, dont le chanbara est considéré comme un sous-genre, se rapprochant du film historique, dès son premier long-métrage (La légende du grand judo, 1943), Kurosawa allait faire de même à l’écriture des Sept Samouraïs. Le scénario des Sept Samouraïs peut paraître simple : des paysans menacés par des brigands reportant leur attaque sur le village, et la peur que les récoltes de riz, blé et saké partent en fumée. Un dilemme, soit laisser perdurer les rackets afin de rester sauf, ou engager des samouraïs et prendre l’arme pour détruire la menace. Le sage du village incitera à en engager, quand bien même les villageois ne leur feraient pas tout à fait confiance… Un script donc, presque manichéen (?), tant il s’agit de détruire le mal en engageant des rōnins  (samouraïs sans maître). Pourtant, cela serait très mal connaître les intentions du cinéaste japonais.

Le film de Kurosawa s’impose en réalité, non seulement comme une prouesse technique mais également comme la réaffirmation d’un genre en déclin après la Seconde guerre mondiale , à l’exception de ne pas reprendre parfaitement les codes du chanbara… et de proposer une œuvre à la fois critique et absolument divertissante. Les Sept Samouraïs est un film hors-normes, à l’image des tensions entre le réalisateur et le studio Toho, puis par la mise en scène du cinéaste japonais ou par la recherche quasi-documentaire de la vérité sur l’environnement entourant les personnages. L’intention du réalisateur avait été respectée par le Studio japonais Toho, malgré leurs réticences originelles, le film serait tourné en décors réels, nécessitant le déplacement des équipes de tournage d’une montagne à une autre. Les conditions de tournage étaient évidemment difficiles, entre pluies et humidité dans les montagnes choisies comme espaces de décors par Kurosawa.

Le budget du film devenait le plus important de l’histoire du cinéma japonais (aujourd’hui dépassé par Ran du même réalisateur, en 1985), et le cinéaste devait faire face au Godzilla d’Ishirō Honda à la même époque, qui coutait énormément au studio japonais. Kurosawa se doutant du coût financier, à nouveau supérieur pour filmer la dernière confrontation spectaculaire entre les paysans/rōnins et les brigands, il décidait d’attendre la finalisation de la production du film de monstre japonais. Mais si Les Sept Samouraïs est encore aujourd’hui autant admiré, cela s’explique d’une part et sans conteste, par la qualité de la mise en scène. Le cinéaste choisissait de filmer les séquences de dialogues plan par plan, utilisant les gros plans et plans rapprochés, afin de souligner davantage les émotions ressenties par les personnages ; que ce soient les paysans ou les rōnins.

A l’inverse, les scènes non dialoguées, exposant les environnements et les groupes de personnages par les plans d’ensembles notamment, sont filmées par trois caméras différentes, ce que l’on a pu appeler un système multi-caméras. Il n’y aura donc plus de cuts pendant le tournage d’une scène, mais bel et bien trois caméras filmant à la fois l’action d’ensemble, mais également les éléments accessoires susceptibles d’être intégrés au montage. Ce contraste souligne à nouveau l’ambition d’un metteur en scène de génie, souhaitant à la fois parfaitement retranscrire les émotions ressenties par ses protagonistes, comme l’atmosphère des différents environnements et groupes sociaux. La magnifique bande-originale composée par Fumio Hayasaka suit d’ailleurs très bien cette logique, le thème principal étant souvent repris à l’occasion de diverses scènes d’action, de funérailles, parfois par un ensemble harmonique comme un peu moins riche en instruments.

Ce choix s’intègre logiquement au thème principal du film, à savoir l’incompatibilité des mondes paysan et guerrier. Les séquences d’action relancent d’ailleurs très souvent la tension dramatique (voir les scènes de discussion paisibles entre paysans et rōnins // Kikuchiyo poursuivi par les bandits) Ainsi, une simple scène de retrouvailles (la relation platonique entre Katsushiro et Shino, fille du paysan Manzo) devient par la force des choses un terrible adieu. La guerre, plus que la volonté du père, ne permettrait pas une telle union. Mais le film d’Akira Kurosawa brille également par son propos sur la condition de vie du samouraï, et de son honneur selon le bushido, code moral des samouraïs japonais, ici intégralement remis en cause. Il s’agit d’un récit très sombre, à l’opposé des codes traditionnels du chanbara : en effet, Les Sept Samouraïs est le récit d’une impossibilité du vivre-ensemble entre rōnins et paysans, en plus d’être un film de guerre. Voilà pourquoi l’œuvre du réalisateur japonais n’est pas manichéenne, c’est parce qu’elle nuance son propos en dévoilant progressivement les préjugés respectifs du groupe de guerriers sur les paysans, et inversement.

Kikuchiyo ne cessera jamais d’avertir les rōnins de la malhonnêteté des paysans, volant les armes et armures des autres guerriers tués au combat, et ne leur donnant pas la nourriture dont ils se disent privés. Le paysan Manzo, lui, prédit que les rōnins lui voleront sa fille, qui ne peut être avec un samouraï selon ses dires. Pourtant, les groupes s’aident respectivement, à l’image de cette moisson collective des paysans travaillant ardument à la tâche, et à la stratégie développée par les rōnins à la préparation de la guerre civile à venir. La guerre se doit d’être collective, ne cesse de rappeler le rōnin Kanbei, et le triangle de l’étendard des sept samouraïs est le fédérateur de cette union : le personnage incarné par l’excellent Toshirō Mifune, Kikuchiyo.

L’œuvre d’Akira Kurosawa est à ranger parmi les chefs-d’œuvre incontestables du Septième Art, ayant su inspirer de nombreux cinéastes (voir notamment le remake The Magnificent Seven de John Sturges, 1960). Spectaculaire dans sa mise en scène et magnifiquement écrit, Les Sept Samouraïs est un film immense : souvent tragique, parfois humoristique, une œuvre qui ne peut que parler à chaque spectateur. Parce que si le monde paysan et guerrier ne peut toujours pas cohabiter à la fin du long-métrage, il ne sera plus question de préjugés envers une autre communauté mais d’un infini respect. L’amour liera encore les paysans et les rōnins ayant survécu, mais ne pourra pas les rassembler. Là où les paysans célébreront la paix retrouvée, les rōnins rendront une dernière fois hommage aux samouraïs décédés au combat.

Les Sept Samouraïs est le chanbara ultime.

Les Sept Samouraïs, 3h 26min, chanbara de Akira Kurosawa avec Toshirô Mifune, Takashi Shimura, Keiko Tsushima

Les Sept Samouraïs disponible à l’achat et à la location sur viva.videofutur.fr

Sortie le 2 décembre 1955.

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Un commentaire

  1. phocean Reply

    Bonne synthèse.
    Concernant l’impossibilité de l’union entre le samouraï et la paysanne, ni le père ni la guerre n’en sont la cause.
    C’était une règle sociale très stricte, une distinction de classe, interdisant les mélanges entre ces classes.
    Les plus misérables de cette époque étaient sans doute les samouraïs, pas tous mais un grand nombre : sans terre, certains sans maîtres, vivant de peu et ne pouvant fonder un foyer.

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