[REVIOWZ] POSSUM – Enfer pour marionnettriste

« Il s’agit d’un film sur quelqu’un qui sonde le passé. Mais je pense qu’il est important de regarder vers l’avant en même temps. Sinon on s’y perd. » C’est en ces termes que Matthew Holness répondait à une question de Film4 sur la nostalgie qui irrigue son premier long-métrage, Possum. Si vous avez grandi dans la culture internet des années 2000, son nom vous dit sans doute quelque chose. Le réalisateur a sorti en 2004 la série Garth Marenghi’s Darkplace, mokumentaire culte où il joue un wannabe Stephen King ringard se remémorant ses heures de gloire d’antan. Plusieurs passages sont devenus des memes tel que l’inoubliable banger One Track Lover.

En plus d’un tremplin pour Holness, le show révéla les talents de son casting : Matt Berry et Richard Ayoade. Le premier resta dans la comédie. Depuis 2019, son génie rayonne aux U.S dans la série What we do in the shadows. Le deuxième transforma l’essai avec la sitcom The IT Crowd puis en devenant une sommité dans le milieu hipster anglais en réalisant le coming of age movie, Submarine en 2010.

Peut-être que ce dernier essai existentiel de son ami a donné des idées à Matthew Holness, lui aussi à mille lieux de leurs premières amours. Sans humour, histoire d’arracher d’un coup cette étiquette « comique ». Peut-être même que la Nouvelle Vague de British Horror entamée depuis le succès de 28 jours plus tard l’a motivé à franchir le cap. Il est vrai que la période a vu de vrais talents (certes inégaux) sortir du lot à l’image de Christopher Smith (top), Edgar Wright (m’ouais), Ben Wheatley (beurk), Alex Garland (ok) ou plus récemment Rose Glass (yeah !). En cela, Possum s’inscrit directement dans ce courant avec pour thème le bouleversement des valeurs morales et sociales contemporaines dans un cadre glauque assumé à 100 %.

Holness trouva le terreau parfait à ses obsessions dans une nouvelle publiée en 2008 dans le recueil The New Uncanny: Tales of Unease. L’anthologie avait pour socle la théorie de « L’Inquiétante Etrangeté » de Sigmund Freud. À savoir « cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au ‘depuis longtemps connu, depuis longtemps familier’ ». Le familier ne devrait pas nous effrayer et pourtant, une altérité y réside, gangrénant tout sentiment de sécurité. Idée reprise dans la robotique en 1970 par Masahiro Mori et sa « vallée de l’étrange ». Il décrit un simulacre d’humanité dérangeant à travers ces androïdes singeant l’Homme sans parvenir à lui ressembler. Vaste programme en l’état qui peut accoucher d’un pudding pompeux indigeste comme d’une grande œuvre cérébrale. Ajoutons à cela la volonté de l’auteur d’être premier degrés en assumant frontalement la noirceur du propos. En résumé : finis les sketchs d’horreur kitch ; place à Possum !

Le film suit le retour dans sa maison familiale d’un marionnettiste déchu, Philip Connell, à Norfolk. Il y vit avec son oncle Maurice qui s’amuse régulièrement à le titiller sur le passé et les causes de sa déchéance. Car Philip cache un terrible secret. Qu’il trimballe en permanence avec lui dans un sac et même sa chambre à coucher : Possum, une grande poupée à tête humaine surmontant un corps d’araignée. Ainsi débute une succession de visions macabres où la créature prend vie et agresse Philip. Un crescendo dans l’horreur traduisant autant aliénation de Philip que le poids de sa culpabilité et qui culmine à la découverte du véritable monstre : lui-même.

VERDICT

À toute la lourdeur conceptuelle redoutée, Matthew Holness oppose un paysage mental avec une économie bienvenue d’éléments clés : une maison délabrée, la campagne et trois personnages principaux (Possum compris). Au-delà, rien. Un désert. Le chef opérateur, Kit Fraser, cisèle ses plans pour enfermer dans le « rien » le protagoniste. Prison de vide dont les perspectives, le ciel et les arbres en sont les barreaux. Ou les pattes d’une mygale, selon le choix. Sean Harris, jusque là connu en tant que némésis d’Ethan Hunt, brille d’une vulnérabilité neuve. Regard fuyant de chien battu, dos voûté, démarche de gamin puni. C’est sur ses frêles épaules que repose le dispositif, incarnant avec brio les nuances du « pauvre » Philip.

Qu’a-t-il fait pour mériter son châtiment ? Nous ne le serons jamais vraiment. De grandes pistes sont lâchées telle que l’enlèvement d’un enfant. Si cette sous-intrigue trouve une résolution, elle n’est clairement pas l’attrait du film. S’il y a un bémol à offrir à Possum, cela tient à son dernier acte convenu, se réfugiant dans une rationalisation réductrice de ses enjeux. On peut imaginer la pression de producteurs fébriles, trop effrayés de livrer une intrigue hermétique. Sauf que le portrait psychologique de Philip brossé sur 85 minutes est d’une extrême clarté. Cette conclusion arrive presque comme un cheveu sur la soupe. Grotesque et rassurante, elle casse avec le décorum planté.

Car il faut l’avouer : Possum est un des films les plus sordides du XXIème siècle. De par ses non-dits pedobear et ses éclairs de terreurs malsaines qui vous hantent longtemps après le visionnage. Le design de la bête y est pour beaucoup dont les jeux d’ombres et lumière formulent un hommage appuyé au cinéma muet des origines. « Le Cabinet du Dr Caligari, Gollum, ces films d’horreur muets allemands ont tous alimenté Possum d’une manière ou d’une autre, » avoue Matthew Holness. « Surtout The Hands Of Orlac (…). Il y a de grandes pièces vides et obscures, et cela a eu une grande influence. »

Loin de l’académisme frelaté dans lequel ils ont été enfermé, ses œuvres témoignaient d’une vision du monde noire jusqu’au-boutiste. Conférant parfois au nihiliste, Possum embrasse cette haine. Sa poisse envahit l’écran. Nous submerge et nous colle à la peau. Étouffe par son omniprésence. On ne croit plus en l’Homme ou ce qu’il en reste. Et encore moins à sa rédemption en toc. Autant d’excuses pour cacher l’inexcusable. Le minable. Qu’Holness expose à vif dans un fantastique enterrement sensoriel. Toute sortie est définitive, toute fuite inutile. Sans issue. Philip est mort, vive Possum !

Possum de Matthew Holness, 1h25, avec Sean Harris et Alun Armstrong – Disponible sur Shadowz

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