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[RETOUR SUR..] Intuitions – Instinct d’esthète

Entre ses deux œuvres les plus connues et célébrées que sont les trilogies Evil Dead et Spider-Man, Sam Raimi s’est également illustré dans différents styles de films (tout autant empreints du talent de leur auteur) avec le western pour Mort ou Vif, ou le thriller dans Un Plan Simple. Son dernier film avant de se lancer dans l’adaptation de l’homme araignée, Intuitions (The Gift), est un autre des opus importants de sa filmographie. À Brixton en Géorgie, on suit Annie (Cate Blanchett) dont les dons de voyance vont s’avérer précieux pour résoudre une enquête.

Après Un Plan Simple, Intuitions se déroule lui aussi dans une petite ville américaine isolée – une échelle réduite qui permet au réalisateur de mêler le drame et l’intime de ses personnages à l’horreur qui les entoure. Si Intuitions est moins fou et excessif que certains des précédents films de Sam Raimi (la trilogie Evil Dead et Mort ou Vif en tête), il se distingue par la gravité de ses sujets. Jugé très sombre, le film n’est d’ailleurs que distribué par Paramount et produit par des compagnies mineures. Les sujets de la violence conjugale, de la maltraitance infantile et de la folie se greffent naturellement au récit et enrichissent le film sur son atmosphère sombre et grave ainsi que son sujet principal, les relations conjugale et familiale. Cette amplitude narrative permise par le grand nombre de personnages qui gravitent autour de la figure centrale d’Annie et le film peut se reposer sur sa batterie solide d’interprètes pour apporter de la crédibilité et de l’envergure à ce récit.

C’est avec ces problématiques très concrètes que le film parvient ensuite à ancrer les éléments horrifiques et à leur donner profondeur et justesse. Le film s’attarde en grande partie sur l’existence pour le moins contrariée de ses protagonistes et parvient à être équilibré et juste sur le quotidien morose qu’ils traversent tout comme sur la violence de l’enquête. En ayant l’intelligence de ne jamais créer de doutes quant à l’honnêteté du personnage marginal d’Annie dans sa profession de voyante, son combat contre des figures d’autorité comme la police, la justice apparait comme d’autant plus fort et sincère. Les dons d’Annie apparaissent d’ailleurs comme une alternative pour la résolution de l’enquête et mettent en valeur l’incompétence de ces institutions. On suit pendant tout le film le combat de marginaux avec Annie dont les dons de voyance sont remis en question, Buddy (Giovanni Ribisi) au comportement pas toujours équilibré et Valerie (Hilary Swank) qui souffre des violences de son mari (Keanu Reeves) sans jamais être aidé autrement que par la bonne volonté d’Annie. Le couple, la police ou encore la justice, toutes les institutions sont montrées comme défaillantes et destructrices alors qu’Annie parvient à résoudre l’enquête et surmonte son traumatisme familial dans un final aussi doux que mélancolique.

Le motif fantastique du film avec les visions d’Annie s’inscrit toujours avec cohérence dans la mise en scène. Le don du personnage, associé au motif de l’eau qui revient dans toutes les scènes de vision du film sous différentes formes, sera clé dans la résolution de l’intrigue. En inscrivant ces visions dans sa mise en scène, Sam Raimi parvient à nous plonger dans la subjectivité de son personnage. Les moments de bascule entre le réel et les visions d’Annie sont parmi les plus soignés et saisissants du film en réussissant toujours des enchainements clairs et limpides pour créer de la tension. Fondus enchainés, rupture sonore, zoom, montage accéléré d’images gores, tous ces effets sont uniquement utilisés pour nous plonger dans la subjectivité d’Annie et sa perspective différente de la réalité. Le jeu sur la temporalité y est ici essentiel avec les visions d’événements passés ou futurs du personnage et qui se traduit par la dilatation ou l’accélération du temps dans ces passages. Quelques moments plus calmes, ne jouant pas sur l’horreur, mais toujours sur la perception différente des événements d’Annie, viennent également apporter à l’atmosphère langoureuse du film.

On retrouve beaucoup dans la filmographie de Sam Raimi ce goût et ce talent pour mettre en scène les subjectivités et perceptions des personnages. L’exemple le plus est frappant se trouve probablement dans les films Spider-Man avec le « spider-sense » qu’il réussit à mettre en image pour nous plonger dans les capacités et forces du personnage en jouant sur la vitesse avec des zooms ou des ralentis toujours savamment employés pour montrer les réactions surhumaines de l’homme araignée. Quand il ne sera pas complètement laissé de côté, ce don inhérent au personnage sera d’ailleurs mis en scène avec beaucoup moins de brio dans les autres incarnations de Spider-Man. Toutes les apparitions soudaines de l’horreur viennent épouser les mouvements de caméra de Sam Raimi ou à l’inverse entrer en rupture avec la dynamique visuelle et sonore établie. Toute la mise en scène est au service de l’ambiance et de la plongée dans la psyché du personnage principal pour créer des scènes tangibles pour la tension de la séquence, servant la narration et surtout cinématographiques.

Ce thriller fantastique qui fait la part belle à l’émotion et l’intime de ses personnages, comme il est souvent le cas dans la carrière de Sam Raimi, est un opus solide de son œuvre. En 2022, neuf ans après son dernier film (Le monde fantastique d’Oz), Sam Raimi retrouve les super-héros avec la suite de Doctor Strange. Une chose est sûre, pour distinguer le talent et l’intelligence dont a fait preuve Sam Raimi pour mettre en scène le super héros que l’on peut espérer retrouver dans ce prochain film et ce que propose Marvel depuis quinze ans, il n’y aura pas besoin de dons de voyance.

Intuitions disponible en DVD/Blu-ray.