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[INTERVIEW] Christophe Gans – “Quand j’ai fait le film, je l’ai fait comme si c’était mon dernier.”

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Par Vincent Pelisse

À l’occasion de la ressortie en salles du Pacte des Loups ce vendredi 10 juin au cinéma, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec son réalisateur, Christophe Gans, lors d’une table ronde avec trois confrères.

© Nicolas Spiess

Fabien Mauro : Comment ça se passe aujourd’hui quand on restaure un film tourné en 35mm, qui a été un des premiers à bénéficier d’un étalonnage numérique, vers un nouveau master 4K ? Le chef op Dan Laustsen a-t-il été impliqué dans le processus ?

Christophe Gans : « En effet le film a je crois été le premier à avoir utilisé l’étalonnage numérique en France, aujourd’hui une technique très commune et très souple, mais à l’époque était nouvelle et on a un peu essuyé les plâtres. Le film était très beau grâce au talent de Dan Laustsen, mais je n’ai pas pu faire exactement ce que je voulais car l’outil était un peu compliqué, notamment sur les effets spéciaux. En plus le film est assez monstrueux, il y a environ 3000 cuts de montage, ce qui rend l’étalonnage d’autant plus long et difficile. De fait, j’ai toujours eu peur de faire une copie HD du film, sauf qu’en fait il y a un gap énorme entre la copie standard tirée du 35mm à l’époque et la copie 4K aujourd’hui, vu qu’il n’y avait pas de qualité intermédiaire. Ce qui fait que le blu-ray du film a toujours été pourri comparé au DVD ! On est passé directement d’une copie SD au 4K. Ce qui explique que le film est aujourd’hui d’autant plus spectaculaire à regarder, c’est qu’on est pas repassés sur l’élément numérique d’époque, on est partis directement des négatifs originaux, donc on a refait entièrement toute la postproduction du film. On a remonté le négatif original. Donc ce que vous avez vu sur le master 4K c’est la vraie matière du négatif original, telle que Dan nous l’a léguée. 

Je me souvenais de notre épuisement pendant l’étalonnage numérique et j’avais toujours cette appréhension de me dire qu’il allait falloir que je revive ça, et que ça allait être un nouveau parcours du combattant. Donc en fait déjà l’idée de faire le master 4K est venue aussi du fait que le film continuait d’être beaucoup diffusé en France mais aussi à travers le monde, et avec les améliorations techniques les gens nous demandaient souvent une vraie copie HD, et donc on s’est dit qu’on irait directement sur de l’Ultra HD. Puis enfin ce qui a fini de me convaincre c’est quand j’ai vu un simple étalonnage direct de la première bobine, et je me suis rendu compte qu’en fait ça allait plutôt être une partie de plaisir puisque le négatif était tellement beau, qu’il n’y avait pas de plan à rattraper, de poussée de grain, surtout que le film est beaucoup en clair obscur, éclairé à la chandelle etc… Du coup tous les détails des costumes et coiffures ressortaient, et en plus comme c’était entièrement tourné, à part une scène, en décor naturel, la véracité de tout ça ressortait vraiment à l’écran. Il y avait même des intentions que j’avais oubliées qui ressortaient comme par exemple les lentilles de Monica Bellucci. J’avais fait faire des lentilles de couleurs différentes pour qu’à chaque scène elle ait des yeux d’une autre couleur. Dans la copie standard elle avait uniquement les yeux marrons. La précision de l’Ultra HD fait ressortir cette intention que j’avais moi-même oubliée, et c’est vrai que je trouvais intéressant, comme c’était un personnage à multiples facettes, qu’elle change de couleur d’yeux. C’était presque subliminal, même si je l’avais déjà fait dans Crying Freeman, mais c’est quelque chose qui avait fini par se noyer dans les limites techniques de l’époque.

Donc tout a été fait avec plaisir, l’étalo, le mixage Dolby Atmos… d’ailleurs tout ça a été fait par des gens de l’équipe du film.

Dès le début je leur ai montré la copie SD et je leur ai dit qu’on ne touchait pas au film, dans le sens où il n’était pas question de modifier le montage, on n’essaye pas de faire du révisionnisme à deux balles, ce film il n’est pas à moi, je l’ai fait et je suis le garant de son histoire, mais c’est un film qui appartient au public, aux gens qui l’ont aimé, donc on le laisse tel quel.

Ensuite j’ai travaillé avec le monteur et les mixeurs originaux pour simplement upgrader le film. 

J’ai vu des gens dire que les effets spéciaux passaient beaucoup mieux aujourd’hui, et c’est tout simplement parce que maintenant c’est plus facile d’étalonner un plan d’effet spécial qu’à l’époque, où on était obligés de faire des détourages de la bête. Ce qui arrive quand on te livre des plans d’effets spéciaux, c’est qu’ils peuvent tirer sur le vert, parfois sur le magenta, donc c’était extrêmement compliqué de les équilibrer à l’époque.

Donc simplement l’étalonnage est meilleur, mais c’est le même film, la même director’s cut, parce qu’en fait à l’époque avec le 35mm on ne pouvait pas excéder 2h17 car les plateaux dans les salles de projection faisaient cette durée. Ce qui explique pourquoi plein de films, comme Die Hard, ne faisaient pas plus de 2h17 sinon tu avais un entracte. Donc j’avais été obligé d’enlever un certain nombre de scènes pour éviter ça, mais la director’s cut c’est le montage original, tel que le film aurait dû sortir en salles, même si il est sorti en vidéo comme ça ensuite. »

Sarah Benjeddah : Par rapport au côté historique du film, on voit que les personnages partent vers l’Afrique, et justement il y a de nombreuses légendes urbaines de bêtes démoniaques donc un peu la même idée que la Bête du Gévaudan.

C.G. : « Oui alors moi c’est un lion de l’atlas. Une espèce qui a disparue aujourd’hui mais ils étaient beaucoup plus gros, et plus puissants. Et je me dis qu’avec les descriptions aberrantes de ce fameux loup, peut-être que les gens de l’époque ne savaient pas ce qu’était un lion, et que c’en était un que quelqu’un avait ramené d’Afrique. Je suis parti de cette idée, donc sous la carapace, l’armure de la bête, c’était un vrai lion créé en animatronic. Pour moi il y a un sous-texte dans le film, avec le personnage de Vincent Cassel, qui revient d’Afrique, marqué par une attaque de lion, et il utilise cette bête comme le chien blanc dans Dressé pour Tuer de Samuel Fuller, il l’a martyrisé pour en faire une bête méchante. Et ce qui est intéressant pour moi c’est qu’une fois l’affaire résolue, Fronsac, joué par Samuel Le Bihan, et Émilie Dequenne, échappent aux événements qui vont se produire en France comme la Révolution, en partent en Afrique. Donc je trouvais qu’il y avait une sorte de cycle, qui nourrit le fond mythologique du film. »

Vincent Pelisse : On ressent beaucoup votre passion pour le cinéma de Hong-Kong en regardant le film, comment s’est déroulée votre collaboration avec Philip Kwok pour chorégraphier les scènes d’arts martiaux ?

C.G. : « Magnifiquement. D’abord il y avait deux gars de la Shaw Brothers sur le tournage : David Wu pour le montage, qui avait démarré à 17 ans comme assistant sur La Rage du Tigre de Chang Cheh, et il avait participé au montage de la scène finale sur le pont. On en a beaucoup parlé parce que c’était lui qui avait monté Crying Freeman, et quand on s’arrêtait pour manger, je lui faisais cracher tout ce qu’il pouvait sur la Shaw Brothers ! D’ailleurs un soir à Vancouver il m’avait invité à une réception dans le quartier chinois, et David Chiang était là. C’était vraiment les héros de mon enfance, les approcher, travailler avec eux, c’était un vieux rêve. 

Donc il y avait David Wu, et j’ai proposé de faire les scènes de combat à Philip Kwok, qui était d’ailleurs un des « Five Venoms » de Chang Cheh, en plus je venais de voir son travail extraordinaire sur Hard Boiled de John Woo, dans lequel il joue Mad Dog. Donc ça s’est super bien passé, même si on parlait pas la même langue, lui ne savait pas dire un mot d’anglais, donc on communiquait surtout avec les gestes. Le résultat à l’écran est très beau, et très intéressant parce que lui finalement il s’est retrouvé déraciné au milieu du Gers en train de régler les combats d’un film de capes et d’épée Français. Mais je pense que ce qui transcendait la barrière de la langue c’était le respect, parce qu’on avait aussi la seconde équipe qui était dirigée par un ancien assistant de Sam Peckinpah, donc le fait que ces gars-là aient travaillé avec mes dieux personnels fait que j’avais un rapport extrêmement respectueux avec eux. Et je pense que le côté hybride du film est assez intéressant car cela montre que l’aspect mythologique transcende toutes les cultures, le rapport fraternel entre guerriers etc… c’est finalement toujours la même chose qui s’exprimait.

Moi quand je regarde le film, la première partie j’aime bien le voir comme un lointain descendant des Griffes de Jade, car c’est l’histoire de gens qui maintiennent une région sous leur coupe en faisant croire au peuple que des vampires tuent des gens la nuit. Puis la seconde partie c’est littéralement la Rage du Tigre, puisque Ti Lung meurt, là c’est Manny, et David Chiang va le venger, donc ici Fronsac. En plus le méchant a un espèce de fléau de combat, c’est d’ailleurs un peu l’arme de Ivy dans Soulcalibur, mais c’est le genre d’armes qu’on trouvait dans les films chinois aussi. À la Shaw Brothers il y avait un chorégraphe génial, Liu Chia-liang, qui avait imaginé avec Chang Cheh, toute un série de films dans lesquels il y avait des armes étranges, comme dans Un Seul Bras les Tua tous, et Le Bras de la Vengeance, donc c’est vrai que j’ai respecté ça mais j’ai aussi invité le fait que c’était tiré d’un jeu vidéo que j’adore.

De toute façon le film est un espèce de pot-au-feu qui invite tous les bons morceaux de ce que j’aime. Quand j’ai fait le film, je l’ai fait comme si c’était mon dernier. Je me suis dit que c’était dingue qu’on me laisse faire ça donc j’y vais à fond. Il y avait une certaine jubilation à prendre dans tous ces trucs que moi j’adore, et il se trouve que le public a super bien reçu ça. »

Marie Moy : Vous disiez dans Starfix à l’époque que certains cinéastes de genre comme Argento et Cronenberg ont longtemps été vilipendés avant d’être reconnus, quel est votre regard sur l’évolution du cinéma de genre en France depuis le succès du Pacte des Loups ?

C.G. : « Pour commencer, Starfix, qui est une revue que j’ai fondée en 82 était une des premières à défendre systématiquement une certaine catégorie de cinéastes qui nous semblait impossible de déconsidérer. Notamment Dario Argento, David Cronenberg, Sam Raimi, George Romero, etc. On avait donc un peu anticipé leur considération critique, sans l’imposer. Par contre là où je pense avoir eu un impact plus important c’est à travers ma revue HK où là on imposait vraiment un certain nombre de gens du cinéma de Hong-Kong, qui nous semblait être à l’époque le cinéma le plus vivace et le plus intéressant qui se faisait dans le monde. Donc c’est vrai que les noms de John Woo, Johnnie To, c’est nous qui les avons mis en avant, parce que non seulement on avait la revue, mais on sortait les films. J’avais organisé un cycle Tsui Hark à la Cinémathèque Française, qui a été mémorable, mais aussi diffusé des films de Seijun Suzuki… Là pour le coup le rôle de mon équipe et moi-même était d’autant plus accru étant donné qu’en plus de parler des films, on les montrait.

Donc pour en revenir au cinéma de genre, moi ça a toujours été ma cause. Mais malheureusement je pense que c’est difficile en France. Parce que déjà il faut des producteurs qui aient envie de le faire, mais surtout il faut que ça marche. Alors certes, le Pacte des Loups a été un grand succès, mais il n’empêche que dans n’importe quel autre pays, un film qui fait cet argent-là, qui s’exporte aussi bien, aurait engendré une série de films, des copies ou des tentatives similaires. Imaginez le Pacte des Loups en 1964 en Italie ! Quand Leone fait Une Poignée de Dollars il ne s’imagine pas qu’il y aura 800 westerns spaghettis qui vont suivre !

Ce qui est terrible dans l’histoire de l’industrie du cinéma Français, c’est que les opportunités ne sont pas saisies. Alors les tentatives de Fantastique en France elles dépendent beaucoup plus du cinéma d’auteur aujourd’hui, donc un cinéma de festival, plutôt qu’un cinéma destiné au grand public. D’ailleurs les chiffres d’entrées sont très très faibles. Ça me tue de le dire mais le cinéma Français n’a pas vraiment envie de films de genre, parce que c’est simplement plus compliqué à faire. Le Pacte des Loups c’est un film compliqué à faire. C’est long, c’est douloureux, il faut constamment gérer des problèmes de costumes, de logistique, de climat, les scènes de combat, les animaux, il y avait des loups dressés, des grues partout qu’on trimballe en haut des montagnes pour faire des plans incroyables au dessus du vide… Il vaut mieux faire un film autour d’un barbecue près d’une piscine que de faire Le Pacte des Loups. Je le comprends très bien ! Beaucoup de producteurs ne sont que des passe-plats, entre la banque, le distributeur du film et les chaînes de télé, et ils prennent 20% au passage. Ils sont contents, la vie est belle. Le Pacte des Loups ou La Belle et la Bête sont des films qui existent par la volonté de gens très puissants. D’une part, Pierre Lescure, qui avait envie de le faire car il venait de racheter Universal et il voulait montrer que nous aussi on était capables de faire des films spectaculaires, qu’on leur enverrait, parce que eux voyaient uniquement qu’on allait distribuer des films Universal et pas que Canal allait leur envoyer des films aussi. Le film était aussi produit et distribué par Samuel Hadida, un producteur très influent. Quant à La Belle et la Bête, c’était la volonté de Jérôme Seydoux de lancer un film adapté d’un classique de la littérature Française. Donc malgré toutes les difficultés, il en avait envie donc ça s’est fait. Du coup s’il n’y a pas de gens de cette envergure qui ont envie de ce cinéma, il n’existera pas, parce que c’est compliqué à faire. »

Fabien Mauro : Hidetaka Miyazaki, le créateur du jeu Bloodborne a déclaré que Le Pacte des Loups l’avait beaucoup influencé. En tant que gamer, et vous-même qui avez adapté Silent Hill, qu’est-ce que ça vous fait ?

C.G. : « Ça m’a fait très plaisir. J’adore le travail de tous ces gens, et Le Pacte des Loups c’est une manière de participer au pot commun dans lequel j’ai pioché différentes choses que j’aimais. Je n’ai donc aucun problème avec ça, au contraire. J’avoue aussi mes influences, elles sont visibles, mais dépassées par le fait que je sois Français et que ce soit un film étonnant. Mais de toute façon oui, Le Dernier des Mohicans, La Rage du Tigre, Le Chien des Baskerville…c’est là, dans le film ! Quand je le fais je n’y pense pas forcément, sauf quelques clins d’œil conscients, mais des fois je réalise bien plus tard mes emprunts sur différentes œuvres car j’ai tellement absorbé que je les régurgite sans m’en rendre compte. Mais c’est la façon dont je m’en suis servi qui fait l’originalité du film. Il y a ma sensibilité dedans. »

Propos recueillis lors d’une table ronde par Vincent Pelisse (C’est quoi le Cinéma ?), Fabien Mauro (Critique film), Sarah Bendjeddah (Just Focus), et Marie Moy (MovieRama).

Remerciements à l’équipe de Mensch Agency pour cette interview.

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