[INTERVIEW] Marie-France Aubert – Diriger artistiquement un festival ?

En novembre dernier nous avons eu la chance d’assister à la 42ème édition du FIFAM, une édition réussie avec une programmation riche et variée. Entre documentaires coups-de-poing, archives de différents pays, œuvres essentielles venant de tout les continents et court-métrages étonnants, ce festival fut une réussite importante. Une réussite collective bien sûr, mais en grande partie impulsée par Marie-France Aubert, la nouvelle directrice artistique du festival. Elle a chaleureusement accepté de répondre à nos questions sur ce festival important.

Enzo Durand : Bonjour Marie-France Aubert, après la distribution et le métier de programmatrice pour deux festivals que tu as cocréé (le Seytou Africa en 2017 et le Enlève tes chaussons rouges en 2019) tu t’intéresses à ce nouveau défi : diriger artistiquement le festival d’Amiens. Comment as-tu appréhendé cette nouvelle expérience ?

Marie-France Aubert : J’ai eu bien évidemment très peur car c’est vertigineux comme situation, et pourtant très excitant à la fois. La petite histoire pour ce poste c’est que j’avais envoyé une candidature spontanée après mes stages chez Carlotta. Après Carlotta je suis allée travailler à la filmothèque du quartier latin, c’était mon premier vrai poste, j’étais programmatrice dans la boite de distribution de la filmothèque. Donc je voulais partir de ce poste, et vu qu’à côté j’avais cocréé ces deux festivals avec plein de copains, j’avais envie de de travailler dans un festival d’ampleur, en étant totalement impliquée. Donc j’admirais beaucoup le FIFAM, grâce à leurs histoires des cinémas d’Afrique, et j’ai envoyé une candidature spontanée. Ils ne cherchaient personne, et je savais que c’est difficile d’accéder à la programmation donc j’avais proposé de faire n’importe quoi peu importe le poste. Ils m’ont donc répondu qu’ils n’avaient aucun poste de disponible, et quelques temps plus tard je reçois un mail « On se souvient de votre candidature, on a suivi tout ce que vous fait depuis que vous nous avez écrit et on cherche une nouvelle directrice ». J’ai complétement halluciné, je me suis dit qu’ils n’ont pas vu ma date de naissance mais apparemment ils avaient envie de laisser une chance à la jeunesse, à des profils plus jeunes. Et c’est beau de voir qu’avec du bénévolat et de la passion on peut réussir, et j’espère que ça va également inspirer des plus jeunes.

Donc il y a eu un entretien d’embauche, où il fallait avoir un projet pour une édition du FIFAM. Donc j’ai beaucoup bossé pour l’entretien, avec déjà l’idée de croiser les disciplines, de faire les partenariats avec un maximum de structures et d’associations culturelles, de faire des journées professionnelles et qu’il y ait des événements en dehors des salles, dans les couloirs. Dès le départ j’avais cette envie-là, que le festival soit une fête collective.

Enzo Durand : On s’est intéressé dans un précédent article aux thèmes de cette édition. Comment est-ce que le comité les a choisis ?

Marie-France Aubert : Alors c’est marrant car c’est vraiment un travail d’équipe. J’ai regardé plusieurs films, et moi je suis une fan des paillettes en général (ndlr : un des thèmes de cette 42ème édition), et donc j’avais revu le début d’un film de Duras : India Song. Et donc ça commence par une robe à paillettes, caressée par la caméra, on sent l’obsession de Duras sur les paillettes. C’est la que je me suis dis que c’était une idée intéressante. On devait d’ailleurs programmer ce film mais on a dû annuler pour des raisons budgétaires. Donc je me suis mise à dresser une liste de plein d’autres films en lien avec cet objet narratif, la robe à paillettes, et je l’ai mis dans notre drive. L’équipe était ravie de l’idée pour plein de raisons : ça nous donnait du baume au cœur, ça investissait tous les spectateurs dans le festival en s’emparant de ce thème. Et justement je suis contente de voir chaque jour des spectateurs et spectatrices jouer le jeu, j’avais vraiment envie de ça. Ce qui est intéressant en plus avec la robe à paillettes c’est que ça traverse pleins de styles de cinéma différents donc d’avoir une programmation diversifiée et inclusive. En plus il y a ce côté un peu politique où on peut réfléchir sur le rôle de la robe à paillettes, de montrer que dans certains films elle joue un rôle très misogyne, donc comment s’emparer de ces robes pour donner d’autres représentations et mettre en lumière des films plus queer.

Enzo Durand : On a beaucoup salué cette ambition de vouloir réunir un maximum de publics différents en cassant tous les genres et toutes les frontières. Est-ce que pour toi cet objectif est réussi ?

Marie-France Aubert : Ce que je vois c’est que les salles sont remplies et ça me rend tellement heureuse. On a la preuve qu’on peut faire confiance aux spectateurs et spectatrices pour découvrir des objets un peu bizarres, comme Freak Orlando, ou la séance était pleine. Et même si des gens sont partis, il y avait tout de même une curiosité. En plus de ça il y avait des jeunes, des plus âgés, tout le monde est venu il y a différentes générations réunies.

Enzo Durand : En plus de cela ces films peuvent créer des envies de cinéma, par exemple Freak Orlando peut donner envie de découvrir des Midnights Movies.

Marie-France Aubert : Oui justement et je me disais que le public peut aussi être attiré par les films qui ont des thématiques communes, on est très fier des retours à ce niveau-là.

Enzo Durand : Toujours dans ton envie de faire découvrir des œuvres au public tu as cocréé le Seytou Africa, un festival de films documentaires africains, et on sent dans la programmation que t’as un attachement particulier pour les films documentaires justement.

Marie-France Aubert : Je suis passionnée par le champ du documentaire, j’ai fait mon mémoire dessus d’ailleurs. C’est une manière de penser le cinéma qui est puissante, avec des mises en scène fortes. Cette programmation elle va permettre à des personnes qui ont des idées préconçues sur le film documentaire de découvrir des œuvres différentes, accompagnées de débats et de présentations. C’était important pour nous de montrer que la frontière entre fiction et réel elle est très fine, que ce sont des objets hybrides et donc passionnants. Quand j’étais plus jeune il y a un documentaire qui m’a tellement marquée c’est Chronique d’un été d’Edgar Morin et Jean Rouch. C’est vraiment un genre cinématographique qui me touche beaucoup et c’est pour cette raison qu’on voulait lui donner une place importante que ce soit avec ArchiVives ou la Carte Blanche à Alice Diop.

Cette nouvelle édition du FIFAM doit sa réussite à cette programmation diverse et variée qui a su conquérir tout les types de public. Nous saluons et remercions Marie-France Aubert pour cet échange passionnant, et surtout pour la découverte de nombreuses œuvres mystérieuses.

Le 42ème Festival International du Film d’Amiens, du 11 au 19 novembre 2022

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