[CRITIQUE] Désigné coupable – Une vérité qui éduque, qui met en colère

En 2002, sur les rivages cubains de la baie éponyme, émergea le camp de détention de Guantanamo Bay, fruit de l’administration George W. Bush en réplique aux assauts terroristes ayant ensanglanté New York le funeste 11 septembre 2001. Sous l’égide du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, ce bastion fut érigé avec l’ambition de retenir des individus d’une dangerosité extrême, d’entamer des interrogatoires dans un cadre optimal et de traduire en justice les prévenus pour crimes de guerre. Des desseins en apparence nobles qui, hélas, se mirent à déchoir bien vite. En peu d’années, il transpira que certains captifs étaient maintenus en détention indéfinie, sans procès équitable, et que bon nombre d’entre eux subissaient des sévices réguliers, au nom de récolter des “renseignements sur les organisations terroristes”, des renseignements demeurés chimériques. Si l’ancien président Barack Obama caressa l’idée de fermer ce camp durant son mandat, il n’aboutit qu’à réduire le nombre des détenus, laissant Guantanamo Bay dressée jusqu’à nos jours, telle une sentinelle sombre de nos échecs et de nos compromissions.

Cette leçon historique, fondement même de la conscience, sert de toile de fond à Kevin McDonald (pour brosser l’épopée poignante de Désigné Coupable, une œuvre immergée dans les sombres entrailles de cette prison militaire, décriée comme “un affront aux droits de l’homme” par Amnesty International. Elle se concentre principalement sur le destin de Mohamedou Ould Salahi (incarné par Tahar Rahim). Le combat de Salahi s’avère être une tragédie brûlante, vécue de chair et de sang. En l’an de grâce 2002, ce Mauritanien fut accusé d’être l’un des architectes des sinistres attentats du 11 septembre, puis plongé dans les abysses de Guantanamo, où il demeura, jamais formellement inculpé, jusqu’au 17 octobre 2016. Au cœur de sa libération, l’avocate Nancy Hollander (jouée par Jodie Foster), s’imposa tel un flambeau de la défense, déterrant, avec son associée junior et traductrice Teri Duncan (Shailene Woodley), les mensonges du camp de détention, bravant les manœuvres du lieutenant-colonel Stuart Coach (Benedict Cumberbatch), procureur militaire lié intimement à l’affaire Salahi. Au fil des heures, ces trois âmes découvrirent que la cruauté de Guantanamo Bay dépassait l’entendement, révélant les fissures de la corruption institutionnelle et éveillant notre conscience aux atrocités commises jour après jour contre les droits humains.

Bien que The Report, en 2019, déroulât déjà le récit d’une enquête sénatoriale sur l’usage de la torture par la CIA après le 11 septembre, Désigné Coupable évite les parallèles avec ce thriller politique, préférant une narration plus intime, adaptée des mémoires de Salahi, Guantanamo Diary, plaçant la perspective du détenu au premier plan. Le gouvernement trouve écho dans cette trame, mais c’est le cheminement de Salahi qui prévaut, et le film tire sa force de l’authenticité puisée dans les mémoires du protagoniste, retranscrivant son expérience à Guantanamo Bay. Car il est aisé de connaître la terreur des geôles de Guantanamo Bay, mais bien autre de la vivre ; le long-métrage nous installe fermement aux côtés de Salahi, victime de violences inhumaines et de violations des droits humains. McDonald’s n’édulcore en rien les pratiques tortionnaires, offrant un spectacle cru de la barbarie, d’autant plus choquante que la détention de Salahi n’est motivée que par les desseins de l’administration Bush, cherchant à capturer tout agent d’Al-Qaïda “de grande valeur”, usant parfois d’informations aussi ténues qu’une simple rumeur. Cette impudence est proprement exaspérante. Dès la première image jusqu’à la dernière, Rahim insuffle à son personnage une authenticité saisissante, puisant dans les abîmes de sa propre tourmente pour rendre palpable au spectateur sa souffrance, physique et mentale. Avant que la vérité sur son incarcération ne jaillisse, nous sommes abreuvés d’innombrables mensonges sur Salahi, et Rahim, par sa foi en l’innocence de son personnage, nous convainc de sa vérité, emportant notre empathie avec une intensité remarquable. En somme, Désigné Coupable doit une grande part de sa puissance à l’engagement sans faille de Rahim dans son rôle principal.

Tandis que le récit demeure focalisé sur les tourments de Salahi, Désigné Coupable dresse un portrait riche en nuances de son casting secondaire, où Foster, Woodley et Cumberbatch brillent de mille feux. Foster, dans son premier rôle depuis Hotel Artemis en 2018, incarne avec brio l’opiniâtreté de Hollander, s’acharnant à dévoiler les dissimulations gouvernementales à Guantanamo Bay et à prouver l’innocence de Salahi. Elle oscille entre moments de fragilité et de fermeté, mais jamais ne faiblit dans sa foi en la cause de Salahi, offrant une performance remarquable. Woodley, quant à elle, campe avec justesse une Duncan émotive, contrastant avec la froideur de Foster, créant une dynamique captivante. Enfin, Cumberbatch, doté d’une intrigue secondaire substantielle, dépeint avec brio le dilemme interne de Coach, partagé entre sa détermination à protéger les États-Unis des menaces terroristes et la découverte de l’injustice à Guantanamo. Il insuffle à son personnage une évolution crédible, évitant tout excès ou inauthenticité.

Au terme du récit, le spectateur peut trouver quelque soulagement dans la résolution gratifiante de Désigné Coupable. Pourtant, une fois dissipée cette satisfaction, persiste un dégoût tenace envers la dépravation de Guantanamo Bay. Et cela constitue le plus bel hommage à ces récits captivants. Si le film s’érige d’abord comme un réquisitoire contre les maux de cette prison militaire encore en activité, il exhorte aussi à l’action face aux atteintes aux droits de l’homme, déployant l’art politique dans toute sa puissance évocatrice.

Désigné Coupable de Kevin Macdonald, 2h10, avec Tahar Rahim, Jodie Foster, Shailene Woodley – Au cinéma le 14 juillet 2021

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