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[CRITIQUE] Mort sur le Nil – Quand Branagh est le mystère de cette enquête

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Par Louan Nivesse

Il est difficile de se méprendre avec un roman policier classique, et nul n’égale Agatha Christie, véritable souveraine du genre. L’ingénieuse formule qu’elle a quasiment façonnée, où un détective perspicace démasque un meurtrier parmi un groupe de suspects aux mobiles aussi légitimes les uns que les autres, a essaimé pendant des décennies dans la culture populaire. Du jeu de société Cluedo aux séries télévisées telles que Esprits criminels, en passant par le récent triomphe cinématographique À couteaux tirés, le whodunit demeure une valeur sûre qui ne lasse guère le public.

Cependant, malgré l’engouement suscité par À couteaux tirés, le genre ne connaît pas toujours le succès escompté, comme en témoigne la réception critique et commerciale mitigée de l’adaptation du roman de Christie Le Crime de l’Orient-Express dirigée en 2017 par Kenneth Branagh et scénarisée par Michael Green. Même si ce film a été accueilli avec des sentiments mitigés, Branagh et Green ont persisté dans leur entreprise en revisitant un autre mystère emblématique de Christie, Mort sur le Nil. Les deux œuvres partagent des intrigues étrangement similaires, impliquant un groupe de voyageurs fortunés devenant tous suspects lorsqu’un meurtre survient, avec Poirot, le célèbre détective, pour démêler les fils du crime. La seule divergence réside dans le cadre, l’un se déroulant à bord d’un train, l’autre sur un bateau. Et, à l’instar du Crime de l’Orient-Express, Mort sur le Nil est également précédé d’une adaptation cinématographique appréciée, celle de 1978, réalisée par John Guillermin. Comparer l’actuelle adaptation de Branagh à ce film de 1978 peut sembler injuste, mais c’est inévitable, surtout lorsque l’on considère à quel point l’adaptation actuelle est terne et dépourvue d’imagination, gâchant ainsi un casting de premier plan et un matériau d’origine encore plus riche.

Copyright Walt Disney

Le véritable attrait d’un roman policier de Christie réside dans ses personnages, souvent peints avec des personnalités excentriques et des écarts sociaux marqués. Dans Mort sur le Nil, qui se déroule en 1937, tous les protagonistes gravitent d’une manière ou d’une autre autour de la riche mondaine Linnet Ridgeway, incarnée par Gal Gadot, qui a convié un cercle d’amis et d’associés à une croisière sur le Nil en Égypte pour célébrer son récent mariage avec Simon Doyle, joué par Armie Hammer. Parmi les convives figurent Bouc (Tom Bateman), un ami playboy, Euphemia (Annette Bening), la mère fortunée de Bouc, Louise (Rose Leslie), la mondaine américaine Marie Van Schuyler (Jennifer Saunders) et son infirmière, Mlle Bowers (Dawn French), le Dr Windlesham (Russell Brand), l’ancien amour de Linnet, et Katchadourian (Ali Fazal), son cousin et associé. S’ajoutent à la dernière minute la chanteuse de blues Salome Otterbourne (Sophie Okonedo) et sa nièce Rosalie (Letitia Wright), ainsi que Poirot, que Linnet implore de se joindre à eux pour surveiller l’ex-petite amie jalouse de Simon, Jacqueline (Emma Mackey), qui s’est introduite dans la fête et a obtenu un billet pour la croisière. Linnet craint que Jacqueline, furieuse d’avoir été évincée par Simon, ne leur veuille du mal. Poirot consent à participer au voyage pour surveiller Jacqueline, mais alors que le bateau descend le Nil, il devient évident que Jacqueline n’est pas la seule à avoir des motifs pour souhaiter la mort de Linnet. Ainsi, lorsque Linnet est assassinée, Poirot se trouve confronté à une énigme complexe.

Ce qui est le plus déconcertant dans ce film, c’est son incapacité à répondre aux attentes. L’histoire et les personnages étant déjà solidement établis, les seuls défis créatifs résidaient dans la mise en scène, le jeu des acteurs et les choix esthétiques. Malheureusement, le film pèche dans presque tous ces domaines. Les performances sont extrêmement disparates, les plus convaincantes étant celles d’Okonedo et de Bateman, les seuls acteurs semblant à l’aise dans leurs rôles. Fazal et Leslie incarnent leurs personnages avec rigueur, tandis que Mackey évite les excès. Branagh défie les attentes en confiant à Saunders, French et Brand, trois comédiens britanniques renommés, des rôles dénués d’humour, une démarche qui fonctionne mieux pour Saunders et French que pour Brand, dont l’interprétation semble forcée la plupart du temps. Dans sa quête de crédibilité, il en fait trop, rendant son personnage rigide et artificiel. Bening semble être la plus à l’aise, mais peine à trouver le juste ton, oscillant entre l’ignorance et la cruauté. Hammer joue son personnage avec un charme artificiel, essayant trop fort d’être séduisant et se révélant plus sinistre que charismatique. Les performances les plus décevantes reviennent à Gadot et Wright, qui semblent peiner à s’approprier leurs rôles respectifs. Quant à Branagh, qui s’est octroyé le rôle de Poirot, son interprétation est trop compassée et sérieuse, évinçant le charme et l’humour propres au personnage dans une tentative malavisée d’insuffler une profondeur psychologique, un choix qui semble plus répondre à un désir d’ego qu’à une démarche artistique réfléchie.

Copyright Walt Disney

Pourtant, même avec des performances en dents de scie et une réalisation peu inspirée, un film de studio doté d’un budget conséquent devrait pallier ses lacunes par des décors solides. Le cadre de l’Égypte et du Nil recèle un potentiel évocateur, avec ses mélanges de sable et d’eau, sa chaleur désertique et la fraîcheur du fleuve, ainsi que ses monuments historiques. Malheureusement, la représentation aseptisée dans le film émousse tout sens de l’authenticité. Le bateau semble sorti tout droit d’un décor de studio, dépourvu de caractère, de vécu, de traces laissées par les tempêtes de sable ou l’érosion du temps. L’absence de sueur et de saleté ajoute à l’artificialité de l’ensemble. Certains effets spéciaux semblent inachevés ou simplement bâclés, rendant évident le fait que le film a été tourné en studio, devant un fond vert. Si cette pratique est monnaie courante dans l’industrie cinématographique, elle ne devrait pas être aussi flagrante. La partition de Patrick Doyle est trop intrusive et la photographie de Haris Zambarloukos manque de panache, malgré les possibilités offertes par le décor. Le plus frustrant reste le manque de flair de Branagh en tant que réalisateur, d’autant plus que son dernier film, Belfast, est actuellement considéré comme un sérieux prétendant aux Oscars dans toutes les catégories. Branagh est indubitablement un cinéaste talentueux, rendant ainsi d’autant plus perplexante l’insipidité de Mort sur le Nil.

Il est indéniable que Branagh nourrit l’espoir de continuer à réaliser des mystères à la Christie et d’incarner Poirot dans de nombreux autres films à venir. Cependant, s’il ne parvient pas à insuffler davantage de style, de créativité et de maestria dans ses futures réalisations, cela pourrait s’avérer décevant pour tous ceux en quête d’un divertissement solide, captivant et de qualité, et constituer une amère déception pour les véritables amateurs du genre policier.

Mort sur le Nil de Kenneth Branagh, 2h07, avec Kenneth Branagh, Gal Gadot, Emma Mackey – Au cinéma le 9 février 2022

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