[CRITIQUE] Belfast – Belle façade

Il y a quelques mois de cela, Kenneth Branagh, à la fois scénariste et réalisateur, évoquait Belfast comme une déclaration d’affection, non seulement envers sa propre famille, mais également envers la ville qui l’a vu grandir et la communauté qui l’a façonné. Il dépeignait ce film comme une lettre d’amour s’écrivant durant les sombres heures de la pandémie, une époque de repli collectif où même les liens les plus intimes semblaient distendus. De son propre aveu, le cinéma avait été pour lui, dans son enfance irlandaise, à la fois un refuge et un horizon vers lequel il aspirait à revenir l’année précédente. Ainsi, c’est désormais à Belfast lui-même qu’il confie le soin de narrer son histoire. En un métrage concis de 97 minutes, Branagh redonne vie à l’émerveillement cinématographique, hissant ce nouveau long-métrage au sommet de ses créations.

Nous suivons les pas d’un jeune garçon prénommé Buddy, incarné par Jude Hill, évoluant au sein d’un foyer composé de son père, joué par Jamie Dornan, de sa mère, incarnée par Caitríona Balfe, et de son frère Will, interprété par Lewis McAskie, dans le Belfast de 1969. Leurs proches, la grand-mère, magistralement interprétée par Judi Dench, lauréate d’un Oscar, et le grand-père, incarné par Ciarán Hinds, habitent à quelques rues de là, tissant ainsi un réseau familial étroit avec les autres habitants du quartier. En parallèle de ses premiers émois amoureux à l’école, Buddy cultive une passion ardente pour le cinéma, trouvant dans les récits tant du grand que du petit écran une échappatoire captivante. Cependant, en cette fin des années 1960, l’Irlande se déchire dans le tourbillon du conflit nord-irlandais, une lutte politique, culturelle et religieuse opposant catholiques et protestants, enserrant la ville dans une spirale de violence et d’angoisse, qui pèse lourdement sur la famille de Buddy. Dans ce climat tendu, le père de Buddy se voit offrir l’opportunité d’emmener sa famille loin de Belfast, quitte à abandonner derrière eux leurs attaches, au nom d’une vie meilleure et plus sûre.

Copyright Rob Youngson / Focus Features

Bien que les drames et les conflits historiques façonnent le cadre de Belfast, le film s’écarte délibérément de ces enjeux lourds pour embrasser des thèmes universels et nostalgiques, centrés sur l’enfance, la famille et la puissance de l’amour. Sous nos yeux, Buddy mûrit, découvrant les joies et les peines de la vie, renforçant son lien avec le monde qui l’entoure, tout en s’évadant dans les mondes enchanteurs du cinéma. Ce dernier devient le ciment familial, comme en témoigne une scène où tous perdent pied devant les aventures aériennes de “Chitty Chitty Bang Bang“. Ainsi, Branagh nous rappelle avec éloquence que les écrans peuvent être des bouées de sauvetage, comme ils l’ont été pour lui et sa propre famille.

Dans cette fresque, les personnages se fondent avec une aisance remarquable, offrant des performances captivantes. Jude Hill incarne Buddy avec une grâce irrésistible, tandis que Caitríona Balfe et Jamie Dornan électrisent l’écran de leur présence, incarnant un amour parental tout en nuances. Si Balfe, célèbre pour son rôle dans la série acclamée Outlander, déploie une force et une vulnérabilité poignantes, Dornan équilibre avec charisme et conviction, affirmant que leur foyer réside dans leur union plutôt que dans une localité géographique. La complicité entre eux culmine dans une scène magistrale, portée par la mélodie envoûtante d'”Everlasting Love“. Quant à Judi Dench et Ciarán Hinds, leur présence à l’écran est tout simplement magistrale. Dench incarne à merveille le rôle de la grand-mère, véritable pilier familial à la voix douce et au cœur empli de tendresse. Quant à Hinds, il livre une prestation remarquable, transmettant avec une grâce infinie la sagesse de génération en génération.

Copyright Rob Youngson / Focus Features

Au-delà de ce remarquable casting et de la partition musicale signée du légendaire Van Morrison, dont la composition originale s’avère des plus pertinentes, c’est bien Branagh qui se distingue ici. Belfast représente son œuvre la plus intime à ce jour, véritable miroir de son enfance semi-autobiographique. Si Buddy incarne un avatar de l’auteur, chaque autre personnage du film évoque en filigrane un membre de sa propre famille. Toutefois, au-delà de cette résonance personnelle, il résonne universellement, touchant au cœur et éveillant en chacun une résonance intime. À travers les yeux de Buddy, nous retrouvons les échos de l’histoire de Branagh. Les larmes ont coulé sur mon visage durant les quinze dernières minutes.

Belfast s’érige en surprenant film universel, un récit poignant qui, en convoquant le passé, ouvre les portes de l’avenir.

Belfast de Kenneth Branagh, 1h39, avec Caitriona Balfe, Jamie Dornan, Jude Hill – Au cinéma le 2 mars 2022

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