[CRITIQUE] Cruella – Ce n’est pas qu’un effet de mode

Dès la révélation de sa première bande-annonce, le dernier opus cinématographique de Disney, Cruella, m’a plongé dans un état de contemplation teinté à la fois de fascination et de perplexité. D’un côté, l’anticipation de voir Emma Stone plonger sans retenue dans l’incarnation tourmentée de Cruella de Vil suscitait en moi une curiosité ardente. De l’autre, la façon dont Disney envisagerait le traitement narratif de l’une des méchantes les plus sournoises et emblématiques de notre société demeurait une interrogation captivante. Aurait-on droit à un adoucissement des contours de son récit, une approche plus bienveillante ? Sans surprise, Disney esquisse les traits les plus ténébreux de Cruella, mais, de manière subtile, s’en écarte habilement. Au lieu de cela, tout l’aspect malveillant s’exprime à travers un tout nouveau personnage incarné par Emma Thompson. Cette Cruella se présente tel un être tragique, façonné par la douleur, se muant en une forme d’anti-héroïne singulière. Les réactions des puristes de Cruella demeurent une énigme, mais personnellement, j’ai été captivé par cette odyssée exquise, délicieusement impertinente, surpassant toutes mes attentes de manière inouïe.

Cruella émane du génie du réalisateur Craig Gillespie, s’imposant comme une progression inattendue par rapport aux multiples réadaptations en prises de vues réelles réalisées par Disney. Bien qu’il ne s’agisse pas strictement d’un “remake”, cette œuvre insuffle une nouvelle élégance à un personnage emblématique. Appréhendant ses deux heures et quatorze minutes de durée avec une certaine appréhension, je fus agréablement surpris. Jamais je n’ai ressenti le besoin de consulter ma montre, tellement absorbé j’étais par cette narration portée par le talent conjugué de Gillespie, des scénaristes Dana Fox et Tony McNamara, et d’un casting parmi les plus remarquables de l’année. Emma Stone rayonne absolument dans le rôle principal, ajoutant des nuances étonnantes aux différentes facettes de son personnage. Grâce à son interprétation et à un prologue captivant, nous faisons la connaissance d’Estella, jouée dans des flashbacks par la délicieuse Tipper Seifert-Cleveland. Une jeune fille énergique, aspirante créatrice de mode, se distinguant dès sa naissance. Comme le souligne avec ironie Stone : “Depuis le commencement, ma vie a toujours été une déclaration”, non seulement par sa chevelure naturellement bicolore mais surtout par sa personnalité espiègle et affirmée, source de conflits avec sa mère (Emily Beecham) et générateur de maints tourments.

Sans tout dévoiler du prologue, la jeune Estella, isolée, se retrouve à Londres après le décès tragique de sa mère. Elle y croise le chemin de deux orphelins pickpockets, Jasper et Horace, qui élisent domicile dans le grenier d’une antique église abandonnée. Quelques années plus tard, ces trois âmes gagnent leur subsistance en écumant le Londres des années 1970, dérobant portefeuilles et commettant de menus larcins. Estella (désormais incarnée par Stone) exploite son talent pour la mode pour confectionner leurs déguisements, pendant que Jasper (le remarquable Joel Frey) et Horace (le fascinant Paul Walter Hauser) assurent la logistique. Un tournant s’amorce lorsque Jasper obtient pour Estella un poste modeste au sein d’une prestigieuse maison de couture dirigée par la baronne von Hellman (Thompson), d’une diabolique élégance et d’un narcissisme grossier. Cette opportunité semble ouvrir à Estella la porte de la concrétisation de ses rêves. Toutefois, elle découvre rapidement que travailler pour la baronne, d’une cruauté implacable, est loin d’être aisé. Ainsi, la méchanceté et l’arrogance de la baronne, mêlées à quelques révélations fracassantes, font éclore l’alter ego flamboyant d’Estella, Cruella, fusion complexe entre sa douleur intérieure et sa personnalité. Une rivalité acerbe émerge entre une légende altière de l’industrie et une nouvelle provocatrice impétueuse de la mode. Tandis que la mystérieuse Cruella enflamme les médias, Estella s’estompe peu à peu, devenant davantage un masque qu’une identité authentique.

Dès ses premières scènes, Cruella déborde d’une énergie vibrante et d’une esthétique visuelle opulente. Les décors magnifiques, la mode exquise et la réalisation dynamique de Nicolas Karakatsanis assurent un attrait constant. Les nominations aux Oscars pour la coiffure, le maquillage et les costumes semblent inévitables. Une part substantielle du budget semble avoir été dédiée à la bande-son. À chaque nouvelle séquence, une grande chanson résonne, nous entraînant dans son sillage. Blondie, ELO, Deep Purple, Queen, pour ne citer qu’eux. Mes mouvements de tête accompagnaient chaque morceau, leur présence s’accordant à merveille avec l’attitude anarchique et insouciante du film. Et puis, les performances… Stone s’immerge véritablement dans son rôle, capturant avec brio la finesse rusée de Cruella et son charisme diabolique. Quelque part, dans ces rares scènes paisibles, une subtile lueur de vulnérabilité transparaît, notamment lors de ses visites à la fontaine de Region’s Park, où elle échange avec émotion avec sa défunte mère. Puis, il y a Emma Thompson, évoluant de manière aussi magistrale que Stone. Qui aurait pu imaginer que la vanité puisse être si divertissante ? Thompson délivre ses répliques acérées avec un mélange parfait de venin et de timing comique. La baronne, au cœur sombre, est tout autant amusante que méprisable. Les performances des seconds rôles, qu’il s’agisse de Frey, Hauser, Beecham, Mark Strong, Kirby Howell-Baptiste ou Ed Birch, viennent compléter harmonieusement cette fresque cinématographique.

Je peine à croire que mes mots lâchent ceci, mais Cruella s’érige possiblement comme la révélation majeure de l’année 2021. Un film énergique, flamboyant et incroyablement divertissant, du début à la fin. Il investit sa durée avec des visuels saisissants, une esthétique londonienne des années 1970 saisissante et une bande-son qui frappe juste à chaque instant. Affirmer que Stone et Thompson incarnent deux des personnages les plus déformés et les plus captivants de l’année ne serait pas exagéré. Une part de moi regrette que les créateurs n’aient pas opté pour la voie plus sombre, laissant Cruella s’émanciper totalement pour devenir une méchante authentique. Cependant, en toute sincérité, Disney semble peu enclin à explorer ces territoires plus sombres ces temps-ci. Le fait qu’ils aient osé pousser les limites constitue un véritable festin pour les spectateurs.

Cruella de Craig Gillespie, 2h14, avec Emma Stone, Emma Thompson, Joel Fry – Au cinéma le 23 juin 2021

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