[CRITIQUE] Blue Summer – Pas Wong Kar-wai qui veut

Le coming-of-age a depuis longtemps établi son royaume, déployant des récits empreints de touchants universalismes. Ce genre explore les méandres de la transition vers l’âge adulte, les questionnements identitaires et les prémices amoureuses. Néanmoins, malgré sa richesse, il se trouve enclavé dans des pièges et des itérations. C’est dans ce vaste territoire que s’inscrit Blue Summer de Zihan Geng, une œuvre révélant des qualités indéniables, mais peinant à s’affranchir d’un genre saturé de références.

Ici, la réalisatrice s’inscrit résolument dans l’archétype du coming-of-age en explorant la découverte de soi et les prémices de l’amour. Cependant, elle offre une interprétation revisitée en mettant en lumière la délicatesse et la fragilité des personnages. Ses acteurs subtils et sa mise en scène méticuleuse parviennent à instaurer une atmosphère baignée de mélancolie. Malheureusement, son long-métrage se trouve dans l’ombre des grandes œuvres récentes du coming-of-age telles que Call Me By Your Name de Luca Guadagnino ou Moonlight de Barry Jenkins, qui ont transcendé les conventions pour offrir une profondeur émotionnelle plus époustouflante. La subtilité constitue l’une des signatures notoires de Blue Summer. Zihan Geng opte pour une approche en nuance, cherchant à capter les émotions complexes et les instants éphémères de la jeunesse. Cette subtilité imprègne la photographie, saturée de tons bleutés et de lumières douces, conférant une atmosphère onirique. Le revers de la médaille, cette subtilité exacerbée peut parfois obstruer l’immersion émotionnelle du spectateur. Les moments de clarté et les tourments intérieurs des personnages semblent s’égarer dans cette esthétique légère et éthérée. On aurait souhaité que la cinéaste ose briser cette coquille de retenue, afin de procurer une expérience à la fois viscérale et profonde.

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Au cœur réside la relation d’amour platonique entre les protagonistes, Xian et Mingmei. La délicatesse et la pudeur de leur connexion évoquent un désir profond de rapprochement, sans pour autant franchir le seuil de l’intimité physique. Cette subtilité dans la représentation des relations adolescentes est admirée, mais certains spectateurs pourraient être frustrés par l’absence apparente d’une exploration plus approfondie. Les questionnements sur l’orientation sexuelle et les éléments suggérés restent en surface, laissant des zones d’ombre difficilement interprétables. Chaque plan est conçu avec minutie, offrant une esthétique visuelle léchée. L’usage de teintes bleues et de lumières tamisées crée une atmosphère mélancolique, renforçant la thématique de la fragilité adolescente. Les images dégagent une qualité presque poétique, nous immergeant dans l’intimité des personnages, renforçant leur vulnérabilité. Par contre, on aurait souhaité que cette esthétique visuelle séduisante établisse un équilibre entre la beauté formelle et une exploration plus profonde des émotions des personnages. Souvent, les plans magnifiquement composés semblent prendre le pas sur le développement des personnages et l’exploration de leurs questionnements intérieurs, ça crée ainsi un déséquilibre narratif.

Blue Summer dégage des éléments distinctifs de l’héritage du cinéma asiatique, rappelant les réalisations du maître chinois Wong Kar-wai. La mélancolie et l’esthétique visuelle soignée témoignent de l’influence de ce cinéaste sur le travail de Zihan Geng. Bien que cette inspiration soit tangible et offre certains moments remarquables, l’œuvre n’atteint pas la maestria des œuvres de sa référence. Cela va jusqu’à l’utilisation judicieuse de la musique pour renforcer les émotions et créer une ambiance distinctive. Les chansons interprétées par les personnages ou en toile de fond ajoutent une dimension supplémentaire au récit, exprimant parfois ce que les mots ne peuvent pas dire. Mais elle n’est pas suffisamment exploitée pour devenir véritablement mémorable, laissant un potentiel inexploité.

Blue Summer présente des qualités indéniables, notamment son esthétique visuelle soignée et les performances subtiles des acteurs. Désolément, il peine à se démarquer dans un genre déjà très exploité, et la subtilité excessive peut parfois être un frein à l’immersion émotionnelle pour le spectateur. Faut le voir pour son esthétique, pour le reste, rien de nouveau dans le pays de Mao.

Blue Summer de Zihan Geng, 1h32, avec Zhou Meijun, Ziqi Huang, Jing Liang – Au cinéma le 20 mars 2024.

5/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    5/10 Mid (comme disent les jeunes)
    Blue Summer de Zihan Geng, c'est comme une belle peinture dans un musée. C'est agréable à regarder, mais on ne peut s'empêcher de se demander s'il ne serait pas plus amusant de faire des graffitis dessus. C'est un coming-of-age tout en subtilité, mais parfois, on a l'impression que les personnages ont peur de grandir autant que la réalisatrice a peur de sortir de sa zone de confort. Malgré une esthétique qui brille comme un diamant, le film ne parvient pas à sortir de l'ombre des géants du genre.
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