Aftersun nous confronte à un constat déchirant : même les meilleurs moments de notre vie sont temporaires. Ils finissent par passer et devenir des souvenirs. Aftersun se déroule pendant une semaine de vacances entre Sophie (Frankie Corio) et son jeune père, Calum (Paul Mescal). Situé dans une ville balnéaire turque ensoleillée (plus précisément, dans une station balnéaire modeste que le jeune père peut se permettre), Aftersun montre les moments simples mais importants qui suggèrent également le début d’une période charnière du passage à l’âge adulte. Les petits moments négligés entre parents et enfants – comme se faire frotter la crème solaire à la piscine, traîner paresseusement dans la chambre d’hôtel et ricaner ensemble pendant les dîners spectacle ringards – sont rendus avec une observation incroyable et un cœur authentique qui est émotionnellement émouvant.
L’ensemble du film est naturaliste, sans fard et plein de chaleur, en grande partie grâce à la nostalgie de la période des années 90. Nous retournons à l’époque d’avant les téléphones portables et des distractions numériques. Le lien particulier qui unit Sophie et Calum peut sans aucun doute être attribué à leur jeunesse commune. Elle a onze ans, il a une trentaine d’années, quelque part entre l’enfance et l’âge adulte (son bras plâtré pourrait laisser penser qu’il a lui aussi encore besoin de grandir). La jeune maturité de Sophie et l’espièglerie naturelle de Calum créent une relation incroyablement proche. Ils sont le monde de l’autre. Cependant, par le biais d’une narration subtile, nous ressentons bientôt un trouble psychique selon lequel ces vacances idylliques pourraient cacher un conflit plus profond. Au début, Sophie grimace en voyant les » étranges mouvements de ninja » de Calum, mais sa pratique du tai-chi – photographiée plus tristement plus tard – suggère qu’il s’efforce d’apaiser un conflit intérieur dont Sophie n’a pas conscience, et qu’elle est de toute façon trop jeune pour comprendre.

Alors que les jours passent et que les vacances touchent à leur fin inévitable, Calum – comme s’il anticipait quelque chose dont nous ne sommes pas conscients – devient de plus en plus instable. On nous laisse espérer le meilleur malgré les drapeaux rouges, mais l’optimisme est difficile à soutenir, surtout dans le dernier plan du film. Je ne vais pas entrer dans les détails, car j’ai trouvé que l’impact émotionnel d’Aftersun provient de ses lentes révélations. C’est Charlotte Wells, dont c’est le premier long métrage, qui porte cette histoire à l’écran. Cette première réalisation est un accomplissement impressionnant. La capacité naturelle de Charlotte Wells à saisir et à réaliser de petits moments profonds prend tout son sens quand on sait que Aftersun a été inspiré par sa propre enfance. Le fait de transposer un passé trouble sur grand écran m’a rappelé The Souvenir de Johanna Hogg, un autre film émotionnellement très fort et dévastateur. L’une des meilleures parties du film est le choix de Wells d’intégrer les séquences vidéo enregistrées par Sophie tout au long du voyage. Les images granuleuses et tremblantes de Sophie – le visage couvrant l’écran – donnent une impression de présent et de passé à la fois, comme si nous vivions leurs vacances en temps réel et que nous les regardions comme un souvenir.
Alors que Sophie s’apprête à prendre l’avion pour rentrer chez sa mère, Calum utilise son caméscope pour immortaliser les derniers moments qu’il passe avec sa fille. Il enregistre Sophie en train de lui faire un signe d’adieu, et ne peut s’empêcher de rembobiner, d’avancer rapidement et de repasser ce moment dès qu’elle quitte son champ de vision. C’est déchirant. Il y a une ambiguïté dans ce qui aurait pu se passer après ça. Aftersun crée une profondeur incroyable en montrant à quel point les moments subtils entre un parent et un enfant peuvent avoir un impact. On comprend que, même si les moments ne durent pas, même si l’on souhaite ardemment pouvoir interrompre le temps, il y a un sentiment d’optimisme lorsque l’on réalise que l’on aura toujours la possibilité de garder ces souvenirs vivants.
Aftersun de Charlotte Wells, 1h42, avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall – Au cinéma le 1er février 2023.

L'avis de la rédaction
Summary
Ce qui est beau avec les reflets c’est que ça réussit l’impossible en conciliant deux espaces étrangers. Tant d’éléments visuels qui viennent se refléter les uns sur les autres mais surtout refléter une intention, réussir l’impossible en prolongeant artificiellement une vie. Le flou change sans cesse de place, tout simplement car faire le point est devenu impossible. (ED)
- Louan Nivesse7
- Vincent Pelisse8
- William Carlier8
- Enzo Durand10
- Jeremy Mahieu8
- Cécile Forbas9
- JACK8
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