[CRITIQUE] Adiós entusiasmo & À Pas Aveugles – Ce qui nous précède

Adiós entusiasmo, Vladimir Durán

Adiós entusiasmo est le premier film du réalisateur Vladimir Durán. Il s’agit d’un drame familial avec un étrange rebondissement. Un jeune garçon nommé Axel (Camilo Castiglione) vit à Buenos Aires et est pris en charge par ses trois sœurs adultes. Bien qu’elles soient surtout préoccupées par leurs propres occupations, elles tentent de trouver du temps pour Axel et d’assouvir ses fantasmes d’enfant.

Cependant, cette famille chaleureuse et maladroite cache un étrange secret : ils gardent leur mère enfermée dans une pièce éloignée de leur appartement. Cette femme invisible, qui s’appelle finalement Margarita, n’existe que comme une voix irritée de l’autre côté du mur. Ses plaintes régulières et ses commentaires désagréables constituent un élément sonore permanent du quotidien des frères et sœurs. Malgré une durée relativement courte, Durán réussit à développer les personnalités distinctes des membres de la famille. L’aînée, Antonia (Mariel Fernandez), est acariâtre et cynique. La sœur intermédiaire, Alicia (Laila Maltz), est obsédée par les célébrités tragiques de l’âge d’or d’Hollywood, récitant les malheurs de Vivien Leigh et Judy Tyler avec une révérence presque religieuse. Ces deux jeunes femmes, d’aspect terne et ordinaire, se disputent souvent avec leur jeune sœur (Martina Juncadella), plus insouciante et plus glamour.

© Bodega Films

Axel est calme et sensible, et se retrouve souvent perdu entre ses trois sœurs dominantes. Il passe la plupart de son temps à l’arrière de l’appartement, à parler à sa mère. Des vidéos familiales laissent penser à une époque plus heureuse, aujourd’hui révolue, et peu d’explications sont données sur la façon dont la famille a pu se retrouver dans cette situation. Margarita elle-même semble avoir un passé mouvementé, tous ses enfants ont des pères différents, dont aucun n’est présent dans le film. Les couleurs désaturées et les gros plans claustrophobes font de l’appartement exigu une prison pour tous les personnages, et pas seulement pour la mère. Tous les visiteurs de la maison semblent considérer son emprisonnement comme la norme. Adiós entusiasmo est un film surréaliste avec peu de message ou d’intrigue, mais Durán le réalise avec l’assurance d’un auteur expérimenté.

Note : 3.5 sur 5.

Adiós entusiasmo de Vladimir Durán, 1h19, avec Camilo Castiglione, Laila Maltz, Mariel Fernandez – Au cinéma le 15 mars 2023


À Pas Aveugles, Christophe Cognet

Il est presque trompeur d’appeler À Pas Aveugles un film sur l’Holocauste. Pendant 15 ans, le réalisateur Christophe Cognet a consacré sa carrière à découvrir comment le monde a découvert les camps de concentration, à découvrir quels héros ont risqué leur vie pour prendre des photos clandestines et documenter l’enfer que les nazis cachaient au monde. Il ne s’agit pas d’un film sur les horreurs de l’Holocauste, mais d’un film sur le voyage de l’histoire et la préservation de la connaissance. En effet, les générations suivantes considèrent presque comme acquis le fait de connaître l’Holocauste, sans tenir compte de la douleur et de la bravoure qu’il a fallu pour partager avec le monde ce mal évident. À une époque où le “scepticisme à l’égard de l’Holocauste” est en quelque sorte en hausse, la reconstitution du passé par Cognet est non seulement intemporelle mais aussi opportune.

© Survivance

De plus, en tant que réalisateur, Cognet ne centre pas le film sur lui-même – il ne se lance jamais dans des monologues ostentatoires, comme d’autres documentaristes de renom. Au contraire, il laisse les experts mener le dialogue, les laissant expliquer les preuves historiques avec précision et soin. À cet égard, Cognet devient en quelque sorte le point de vue du public : un canal passif mais respectueux par lequel il peut s’imprégner de la recherche. C’est facile à faire, car la production adopte une approche stylistique très calme : il n’y a pas de partition théâtrale ou de photographie prétentieuse – rien pour détourner l’attention de ce lourd sujet. De même, il faut noter que le ton n’est pas sombre, mais plutôt éthéré et étrangement hypnotique. Avec son esthétique dépouillée, le documentaire oscille entre le passé et le présent de manière transparente, dans une démonstration fascinante de volonté archéologique. D’un rythme tranquille (peut-être même langoureux), À Pas Aveugles est l’équivalent cinématographique d’une lente déambulation dans un musée bien entretenu. L’objectif n’est pas de découvrir une révélation choquante, mais plutôt d’admirer le dur labeur de ceux qui enregistrent et préservent l’histoire, hier comme aujourd’hui. Bien sûr, cette lenteur peut être trop pour les spectateurs non avertis (c’est littéralement aussi intense que peut l’être la contemplation de vieilles photographies), mais pour les spectateurs persévérants, c’est profondément gratifiant.

Dès le début, un gardien fait remarquer à l’équipe que les éclairs blancs nichés dans les champs gazonnés sont en fait des fragments d’os laissés par les camps d’extermination – des éclats d’histoire récupérés par la nature. Comme le dit le gardien, “les victimes sont toujours dans le sol“. L’histoire a peut-être évolué, mais les horreurs sont restées figées sur place. Heureusement qu’il existe des films comme À Pas Aveugles pour nous le rappeler.

Note : 4 sur 5.

À Pas Aveugles de Christophe Cognet, 1h49 – Au cinéma le 15 mars 2023

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