CONFRONTATION [CRITIQUE] – Misanthrope

Confrontation Critique c’est une rubrique de C’est quoi le cinéma dans laquelle vous pouvez retrouver des critiques de films écrites à plusieurs mains. Des discussions entre deux chroniqueurs, ou plus, qui débattent ainsi de films d’actualités, ou de patrimoine. Un moyen de voir à la fois les meilleurs, et les pires, côtés des longs-métrages que nous traitons.

Damián Szifrón est un réalisateur talentueux. Il se fait remarquer avec Les Nouveaux Sauvages2014, immense film à sketchs où divers personnages cèdent à la violence. Ce long-métrage d’exception est salué par la critique internationale, qui le place en compétition à Cannes, et aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger. Pourtant, depuis neuf ans, le réalisateur argentin n’a réalisé aucun autre long-métrage. Il écrit plusieurs scénarios, qui portent tous sur des thématiques qui lui sont chères. L’un des thèmes qui revient le plus souvent est celui d’individus, aliénés par la société occidentale, et qui finissent par perdre le contrôle. Des misanthropes qui passent à l’étape supérieure. Notre film du jour est tiré d’un de ces scénarios. Dans ce dernier, un tueur de masse frappe l’Amérique, sans schéma précis et cohérent. Pour arrêter le massacre, Eleanor Falco une jeune enquêtrice rejoint l’équipe du FBI chargée de retrouver l’assassin. Kimly et Enzo n’ont pas le même avis sur ce thriller, et ils vous le partagent dès maintenant.

© Metropolitan FilmExport

Kimly : Les polars diffusés dans les salles obscures demeurent de moins en moins présents. En cause : la présence de leurs équivalents, les séries policières, sur nos téléviseurs. Misanthrope2O23 apparaît néanmoins au cinéma malgré sa médiocrité scénaristique qui ne se démarque pas d’un banal épisode d’Esprits Criminels. Une intrigue des plus basiques donnant lieu à une finalité assez prévisible, laissant en fin de compte un sentiment d’ennui sur les dernières minutes du film. Je ressors mitigée de Misanthrope2O23.

Enzo : Je trouve au contraire que c’est loin d’être un simple épisode des Experts à Miami car justement il se démarque des polars classiques. En jouant sur les codes, ces clichés attendus par les spectateurs, pour les surprendre, le film devient une expérience inédite. D’habitude le tueur en série, un antagoniste classique au cinéma, est une figure du mal absolu. Il peut être soit un cannibale, soit un tueur avec une spécialité dans la méthode ou dans la mise en scène (d’où le fait qu’il est une figure parfaite pour le 7ème art car il produit lui-même du scénario). Ici Damián Szifrón s’écarte de ce cliché pour se rapprocher des assassins qui peuplent l’Amérique contemporaine : les tueurs de masse. Après sur les protagonistes je suis d’accord qu’il y a quelques poncifs des polars classiques. Notamment l’enquêteur torturé qui a une relation avec le tueur, que l’on retrouve dans Manhunter1987 ou Le silence des agneaux1991.

© Metropolitan FilmExport

Kimly : Au même titre que l’intrigue, les personnages du film ne se démarquent en aucun cas et rentrent même dans le stéréotype du genre policier. Notre personnage principal n’est autre qu’un loup (ou une louve) solitaire au passé difficile et qui se présente comme la seule pouvant résoudre le mystère par son intuition et son vécu. Tandis que la police, elle, présentée incompétente comme à son habitude. Le tout accompagné d’un jeu d’acteur parfois trop théâtral pour certains personnages, notamment l’agent Lammark (interprété par Ben Mendelsohn). Le couple de l’agent rentre lui aussi dans les stéréotypes : un compagnon calme et réfléchi, contrastant avec son mari. On est constamment dans le déjà-vu, voir même le cliché. 

Enzo : Alors à propos des personnages, je ne trouve pas que l’interprétation des acteurs sublime les rôles cependant elle est clairement sincère.  Damián Szifrón souhaitait réaliser son long-métrage depuis neuf ans, sans pouvoir financer ce thriller sombre à portée politique contre les Etats-Unis. C’est justement avec le soutien d’acteurs comme Ben Mendelsohn et Shailene Woodley, qui produisent le film, que Misanthrope2O23 a pu se réaliser. L’actrice principale, très active pour l’écologie et la prise en charge des maladies mentales, infuse donc des thématiques qui lui sont chères dans le scénario. Il y a une honnêteté et une envie qui ressort de l’ensemble du casting, qui force le respect. Que ce soit Shailene Woodley qui veut un grand rôle d’inspectrice, Ben Mendelsohn qui s’impose dans autre chose qu’un antagoniste pour une fois ou encore Ralph Ineson qui sublime le personnage du tueur. Avec sa voix rocailleuse, tel un Benedict Cumberbatch qui fumerait depuis trente ans. Je te rejoins sur le fait que ce n’est pas parfait, mais il y a eu une envie de réussir.

© Metropolitan FilmExport

Kimly : Entre les personnages clichés et les rebondissements prévisibles, je ne suis jamais rentrée dans le film. Surtout que le sous-texte politique dont tu parles est assez faible. Les sujets abordés tout au long du film sont trop nombreux et pas autant approfondis qu’ils auraient pu l’être. Il n’est pas nécessaire d’aborder autant de thèmes en l’espace de deux heures à peine, si l’évocation de chacun d’entre eux reste trop en surface ou encore trop implicite. De plus, à cause de cette charge politique, le film perd de son rythme, la différence se fait clairement ressentir avec une première partie très rythmée, pleine de rebondissements et donc réussie tandis que la seconde tire en longueur. La guerre des polices, ou les problèmes personnels des personnages, parasitent à la fois l’enquête et le film. Ces apartés, à l’écart de l’intrigue principale, viennent constamment ralentir un rythme originellement intéressant. 

Enzo : Pour le coup je ne te rejoins pas du tout sur la charge politique du film. Je trouve au contraire que les thématiques comme celles sur les maladies mentales ne sont pas implicites mais même bien trop mises en avant. C’est même le point où je ne suis pas forcément en accord avec Misanthrope2O23, tant il surligne parfois l’image par le dialogue. Après la grande force du film sur les thématiques qu’il aborde, c’est justement d’en prendre une dizaine complètement différentes, et de les mêler. Ça aborde à la fois le racisme, l’écologie, la guerre entre différents services de police, les tueries de masse, la surconsommation et j’en oublie encore. Alors tous les sujets ne sont pas complètement réussis, parfois un peu cliché, mais ça fait de Misanthrope une œuvre passionnante à décortiquer.

© Metropolitan FilmExport

Enzo : Je pense que l’on se rejoint tous les deux sur le fait que le film est particulièrement réussi dans sa première moitié. Je pense que cela tient beaucoup du rythme d’ailleurs. Plus précisément je trouve qu’il y a une vraie union entre le scénario, la mise en scène et le montage. Ce qui devient logique lorsqu’on se rend compte que Damián Szifrón est à la fois le réalisateur, le scénariste ET l’unique monteur du film. Misanthrope2O23 est donc un véritable film d’auteur, porté par les influences et les thématiques d’un artiste. Et ça, on se rejoint tous les deux pour dire qu’un polar auteuriste, à plusieurs millions de dollars, diffusé à l’international, et porté par des acteurs de talents, c’est rare. Alors que l’on aime ou non Misanthrope, on est heureux qu’il existe. 

Article écrit par @enzo-d et @kimly-del-rosario

Misanthrope de Damián Szifrón, 1h58, avec Shailene Woodley, Ben Mendelsohn, Jovan Adepo – Au cinéma le 26 avril 2023

2
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *