[RETROSPECTIVE] Manhunter – Un nouvel espoir

Troisième long-métrage de notre rétrospective sur Michael Mann, Manhunter ou Le sixième sens est donc la première adaptation d’un tueur en série que vous connaissez bien : Hannibal Lecter. Notre réalisateur fétiche adapte donc l’un des thrillers de Thomas Harris intitulé Dragon Rouge. Pour une raison amusante, c’est-à-dire le fait que le producteur Dino de Laurentiis ne se soit pas remis de l’échec de son film précédent (L’Année du Dragon), ce long-métrage ne s’appellera donc pas Dragon Rouge mais Manhunter. Un nom qui, nous le verrons, a une importance primordiale pour comprendre toute l’ambiguïté et le génie de cette œuvre. Avec ce film, Michael Mann atteint sa forme finale, en utilisant tout ce qu’il a appris à la télévision pour créer des œuvres mettant sur pellicule ses obsessions. Depuis l’échec de La Forteresse Noire, soit six ans plus tôt, le réalisateur s’est beaucoup amélioré, notamment en créant la série Miami Vice qui s’inspire de l’esthétique des clips. Rien d’anodin ici sachant que le pitch de la série fut décrit par un producteur en deux mots : MTV cops. Après une longue période loin des salles obscures le cinéaste revient à sa passion : le grand écran. Un retour réussi que nous allons décortiquer ici.

Manhunter raconte l’histoire de Will Graham (William Petersen) qui doit s’associer avec le tueur en série Hannibal Lecter (Brian Cox) pour traquer un autre assassin ciblant des familles. Le pitch est simple, terriblement efficace, mais il révèle beaucoup d’une dynamique chère à Michael Mann : la traque. Toute l’attention des personnages est portée sur une confrontation, une traque et une recherche de l’affrontement avec leur Némésis. La scène la plus intéressante du Sixième sens est d’ailleurs la rencontre entre Lecter et Graham dans lequel un simple champ-contrechamp nous dit beaucoup sur ce qui rapproche ces deux ennemis. La caméra les enferme tous les deux, les mettant donc sur un pied d’égalité, comme s’ils avaient donc plus de points communs qu’ils le pensent. Le titre « Manhunter » fait référence à un chasseur d’hommes, soit la profession de Graham, mais également le loisir de Lecter. Tout est fait pour rendre cette dualité ambiguë, les rapprocher sans cesse pour créer une tension. Mann à compris qu’il y a parfois dans un regard ou un murmure bien plus que dans des fusillades ou poursuites.

Cette discussion entre les deux adversaires préfigure la plus grande scène du cinéma de Michael Mann : la confrontation verbale entre Neil McCauley (Robert De Niro) et Vincent Hanna (Al Pacino) dans Heat en 1995. Nous reviendrons bien évidemment sur ce film de braquages lors d’un article dédié mais la séquence entre le policer et le criminel résonne avec l’interrogatoire de Manhunter. Notamment sur une réplique, que nous vous transcrivant dans sa version française :

Al Pacino : Tu es moine ?

De Niro : J’ai une femme…

Al Pacino : Tu lui dis quoi ?

De Niro : Je lui dis que je suis représentant …

Al Pacino : Si tu me vois venir au coin de la rue, tu la plantes là ? Sans lui dire adieu ?

De Niro : C’est la discipline.

Cet échange entre les deux ennemis est particulièrement intéressant tant il révèle la caractéristique principale des personnages manniens. Ce sont des protagonistes tiraillés entre une envie et un devoir. Les envies ici sont pour Manhunter de traquer un tueur en série tandis que le devoir est de protéger sa famille, les deux entrent donc en contradiction. Ce modèle narratif sera réutilisé dans l’ensemble de l’œuvre du cinéaste car il crée du conflit, donc du scénario, tout en complexifiant ses personnages. Ce sont des êtres romantiques qui voient s’affronter la raison et le sentiment. Ils sont souvent indépendants, ou souhaitent le devenir, ce qui crée une certaine solitude empreinte de mélancolie chez eux.

La famille est donc le point de repère des personnages manniens, elle représente souvent la raison. S’en éloigner c’est prendre le risque de se perdre. Dans tous les longs-métrages réalisés par Mann, la maison, ou l’amour, est l’objectif principal. Nous l’avions déjà remarqué dans Le Solitaire où le protagoniste prend tous les risques pour s’enfuir avec sa bien-aimée. Dans Heat cela devient l’enjeu principal ainsi que dans Collatéral. L’importance de la famille chez ce cinéaste est un motif récurrent qui renforce l’attache que l’on peut avoir envers les personnages principaux. C’est d’ailleurs ce que vise à détruire les antagonistes dans ses longs-métrages, notamment dans Manhunter. Le tueur en série, avant d’attaquer les policiers, assassine des familles entières, en entrant dans leur domicile. Le Home-Invasion est ici poussée à son paroxysme puisqu’il les espionne, les épie, avant de venir les massacrer. Les liens familiaux permettent aux héros de Michael Mann d’être plus libre, c’est d’ailleurs pour cela que l’horizon se dégage lorsque les membres de la famille sont réunis.

C’est quoi le cinéma de Michael Mann avec ce troisième film ? C’est avant tout un cinéma de personnages, des films qui insistent sur les envies de ses protagonistes, oscillant entre devoir et sentiments. Les œuvres de Mann sont parsemées de dialogues intéressants, bien plus sous tension que les fusillades d’ailleurs, complexifiant les intrigues. Ce qui rend ses films si émouvants, c’est justement cette mélancolie qui émane des personnages. Ils sont constamment sur le point de chuter, de tout perdre et pourtant ils s’accrochent à des rêves. On parle beaucoup d’horreur dans Manhunter, mais je trouve au contraire qu’il y a une forme de tendresse à penser que l’on peut concilier envies et devoirs. Une forme d’espoir.

Manhunter de Michael Mann, 1h58, avec William L. Petersen, Kim Greist, Joan Allen – Sorti au cinéma le 22 avril 1987.

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