Watchmen, cette série limitée de bandes dessinées, acclamée par la critique, du tandem créatif composé de l’écrivain Alan Moore et de l’artiste Dave Gibbons, m’a toujours davantage impressionné qu’elle ne m’a captivé. Toutefois, l’empreinte qu’elle a laissée sur l’industrie demeure indéniable. Narrée sur douze numéros parus de septembre 1986 à octobre 1987, Watchmen représente une trame sociopolitique complexe que le réalisateur Terry Gilliam avait autrefois qualifiée d’« inadaptable ». Malgré cela, plusieurs studios tels que la 20th Century Fox, Universal, Paramount, et finalement la société affiliée à DC Comics, Warner Brothers, ont tenté de l’adapter pour le grand écran. Finalement, Watchmen est échu entre les mains de Zack Snyder, dont le style audacieux le destinait à être aussi bien adapté au matériau original qu’à soulever quelques interrogations. Il ne faisait aucun doute qu’il pouvait créer un univers visuel immersive, concordant avec la vision de Moore. Cependant, serait-il à la hauteur du récit à la fois fascinant et complexe de Moore ? Dans une large mesure, oui, mais tout comme la série de bandes dessinées très louée, cela reste néanmoins complexe.
Le film se déploie comme un néo-noir dystopique évoluant au fil d’une chronologie de réalités alternatives. La majeure partie de l’histoire se déroule en 1985, à l’apogée de la guerre froide. Une atmosphère de paranoïa nucléaire plane sur le globe, tandis que les États-Unis et l’Union soviétique brandissent leurs considérables arsenaux nucléaires l’un contre l’autre. En parallèle, une horloge apocalyptique compte les secondes jusqu’à l’Armageddon. Pendant ce temps, des héros masqués, qui ont longtemps influencé les événements mondiaux, du conflit vietnamien au Watergate, ont été contraints à la retraite par le gouvernement. Ainsi, un monde privé de ses héros se trouve à attendre, résigné face à son inéluctable destin.
Ceci représente un résumé sommaire de l’arrière-plan et de l’atmosphère qui jouent un rôle crucial dans le film. Divers clins d’œil au passé et des flashbacks significatifs nous ramènent jusqu’en 1939, nous présentant une équipe de super-héros nommée les Minutemen. Un montage nous dévoile leur âge d’or et leur disparition tragique. À un moment donné, nous remontons en 1959 pour assister à un accident de laboratoire qui transforme le physicien nucléaire Jon Osterman (Billy Crudup) en Dr. Manhattan, une entité irradiant d’un bleu éclatant. Nous découvrons également la formation des futurs combattants du crime baptisés les Watchmen, contraints à la dissolution en 1977 après que l’activité de « justicier costumé » a été déclarée illégale. Cela ne constitue qu’une partie de la toile de fond et de la construction du monde qui pèse sur ce récit dense. En 1985, les échos du passé se font incessamment ressentir, et d’anciennes blessures sont ravivées lorsqu’un ancien justicier nommé The Comedian (Jeffrey Dean Morgan) est mystérieusement assassiné depuis son appartement du dernier étage. Ce meurtre laisse peu de traces chez ses anciens partenaires, à l’exception de Rorschach (Jackie Earle Haley), justicier masqué et sociopathe fonctionnant tel un détective privé des années 1940. L’enquête de Rorschach l’amène à soupçonner qu’une menace de leur passé cible les Watchmen. Il alerte donc ses anciens collègues, Silk Spectre (Malin Åkerman), dont la mère était membre des Minutemen à l’origine, Nite Owl (Patrick Wilson), qui peine encore à trouver sa place dans une société post-Watchmen, Ozymandias (Matthew Goode), un magnat de l’entreprise et l’homme le plus brillant du monde, ainsi que le détaché et involontairement froid Dr. Manhattan, préoccupé par quelque chose d’encore plus… global.
L’histoire centrale du film évolue rapidement vers une enquête criminelle, ponctuée de rebondissements captivants et de conspirations à déterrer tout au long du chemin. Mais Snyder, avec les scénaristes David Hayter et Alex Tse, réussit à l’adapter à différents niveaux de succès. Le film brille tel un chef-d’œuvre, une déconstruction musclée et cérébrale du genre lucratif des super-héros. Il remet également en question notre conception des « héros » dans la vie réelle et interroge divers concepts sociétaux. Bien qu’il n’adopte pas de message politiquement explicite, il examine le pouvoir politique et sa susceptibilité à être manipulé dans un sens ou dans l’autre. Tous ces éléments étaient fondamentaux pour la série de Moore, et Snyder veille à ce qu’ils soient préservés dans son film. Cependant, malgré la manière dont Snyder a réussi à transposer cette histoire a priori « inadaptable » à l’écran de la manière la plus aboutie, il ne parvient toujours pas à éviter un sentiment d’étranglement, même avec 160 minutes de projection. Cela découle en partie de sa fidélité au matériau source. Alors que quelques modifications ont été apportées à l’histoire et que certaines scènes d’action ont été prolongées, Snyder reste largement fidèle à l’apparence, aux thèmes et au ton de la bande dessinée. Mais cette loyauté au matériel implique de couvrir un terrain considérable, au détriment inévitable de certains aspects. Cette même fidélité au matériau l’oblige à explorer des éléments dont le film aurait pu aisément se passer. Par exemple, une romance entre deux personnages principaux prend une place prépondérante dans l’histoire. Ce couple manque de conviction principalement parce que le film gaspille du temps sur des scènes de sexe qui auraient pu être mieux exploitées pour développer leur relation. Mais ces scènes étaient dans la bande dessinée, donc…
Je souligne particulièrement le défi que représente l’adaptation de Watchmen à l’écran, ce qui rend d’autant plus impressionnant le travail accompli par Snyder ici. Ses talents de cinéaste sont mis en valeur, car Watchmen se révèle visuellement saisissant et l’univers qu’il déploie est à la fois captivant et immersif. Les personnages bénéficient d’une attention remarquable et les performances sont solides (à l’exception peut-être de Matthew Goode, mais c’est un détail). Néanmoins, c’est un film dense qui offre beaucoup d’intrigues souvent sans laisser suffisamment de temps pour en traiter tous les aspects. Une « Ultimate Cut » de 215 minutes pourrait résoudre certains de ces problèmes, mais je vous laisse le soin de le découvrir par vous-mêmes.
Watchmen : Les Gardiens de Zack Snyder, 2h42, avec Jackie Earle Haley, Patrick Wilson, Malin Åkerman – Sorti en 2009