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[CRITIQUE] En Attendant La Nuit – Faut Assumer

2023 a été une année d’émergence pour le cinéma de genre français. Avec des films comme Le Règne Animal, Tropic et le récent Vermines, l’Hexagone s’aventure en terrain inédit. Pour 2024, l’attente est grande, le souffle suspendu : ces films encensés par la critique et attirant de plus en plus de spectateurs ouvrent enfin la voie aux monstres, aux visions d’horreur et à la fantastique noirceur de l’imaginaire français. Le vieux décor de comédies rurales et de drames familiers semble s’effacer, laissant entrevoir un monde d’ombres de mystères et de cauchemars.

Imaginez les salles sombres remplies de spectateurs venus de tous âges. Les visages vieillissants des habitués des spectateurs seniors se figent devant ces nouveaux récits : des visions de chair déchirée des araignées géantes se mouvant dans la pénombre des paysages noyés dans une lumière crue et inquiétante. Leurs habitudes sont bousculées par ces nouveaux récits où le familier se change en menaçant où les prairies sereines deviennent la scène de cauchemars étranges. Ogre d’Arnaud Malherbe avec sa violence contenue et inquiétante et Teddy des frères Boukherma avec son homme-loup à la fois grotesque et tragique sont autant de films qui font frissonner le spectateur même si L’Année du Requin, tentative de comédie horrifique a déçu en oscillant maladroitement entre un hommage à Jaws et la légèreté d’une farce. Mais les temps changent. En 2021 Titane de Julia Ducournau avec sa Palme d’Or a prouvé que le public français est prêt pour l’audace pour des propositions qui le secouent et qui brisent le moule des clichés. Et c’est là que s’inscrit En Attendant La Nuit de Céline Rouzet avec son ambiance d’ombre et de mystère explorant les légendes vampiriques d’une France moderne.

Copyright Tandem

En Attendant La Nuit plante son décor dans une banlieue pavillonnaire en apparence paisible mais baignée d’une lumière hivernale grise et froide qui semble tout engloutir dans le silence. Philémon adolescent étranger aux habitudes de la jeunesse locale y pose ses valises avec sa famille. Son secret ? Il a besoin de sang pour survivre. Des regards fuyants dans les rues désertes des maisons alignées aux pelouses trop nettes des rivières ternes et glacées sous un ciel de plomb – cette campagne ne cache rien de l’étrangeté qui semble s’insinuer partout. Le jeune garçon rencontre alors Camila une voisine au sourire éclatant et soudain le gris se teinte d’une promesse rouge et dangereuse. Ce cadre toutefois peine à rivaliser avec la forêt sombre et mystérieuse de Le Règne Animal où les mutants de Thomas Cailley trouvent refuge dans des broussailles épaisses loin des regards. Ici la banlieue est un choix certes mais un choix peu exploité visuellement : les rivières les coins de verdure tout cela est filmé sans profondeur comme un simple fond de scène qui ne devient jamais vraiment partie prenante de l’histoire.

Ce qui frappe dans En Attendant La Nuit c’est ce que le film ne montre pas. Philémon n’a ni crocs ni pâleur spectrale ni peur du soleil. Un sweat à capuche quelques cernes et le vampire adolescent se fond parmi les vivants presque comme s’il cherchait à disparaître. La mère interprétée par Élodie Bouchez vole des poches de sang au Don du Sang où elle travaille les cachant dans le réfrigérateur comme des trésors interdits. Pourtant l’intrigue vampirique est discrète à peine effleurée reléguée au second plan. Ce n’est pas tant un monde de ténèbres qu’un film qui semble constamment s’éloigner de l’ombre pour s’attarder sur des disputes domestiques sur la banalité de la vie d’un père assureur (Jean-Charles Clichet) ou sur les soupirs amoureux entre Philémon et Camila. Le récit d’amour entre Philémon et Camila tout en retenue et en désirs tus donne une touche douce-amère. La scène où Philémon goûte au sang de sa bien-aimée enfin apporte un rare moment de tension un mélange de séduction et de menace. Cette pause fugace et interdite dans l’obscurité révèle brièvement la nature du personnage. Mais le film retombe vite dans une narration plus classique où l’on voit Philémon aux prises avec des adolescents hostiles. L’une des scènes les plus surréalistes se passe d’ailleurs dans une salle de cinéma où les agresseurs de Philémon sans retenue ni crainte le harcèlent ouvertement chahutant bousculant et jetant du pop-corn dans une ambiance de chaos complet – une absurdité qui tranche avec l’ambiance terre-à-terre recherchée par Rouzet mais laisse place à un éclat de bizarrerie.

À mesure que le film progresse les attentes de la tension culminante d’un récit vampirique se dissipent. Là où l’on espérait un crescendo sanglant une confrontation brutale comme celle de Morse de Tomas Alfredson En Attendant La Nuit se contente de laisser Philémon languir. Même lorsqu’il s’offre au soleil souhaitant mettre fin à sa vie sous l’astre brûlant l’image est adoucie presque évanescente. Pas de fumée pas d’agonie flamboyante – juste une lente perte de conscience.

En Attendant La Nuit laisse une impression mitigée. La brume plane le suspense est palpable mais la menace ne prend jamais corps le frisson s’étiole. Philémon symbole d’un cinéma qui ose frôler l’originalité sans s’y abandonner semble incarner cette hésitation. Ce film aurait mérité de plonger plus profondément dans le nocturne d’oser des images puissantes et des situations marquantes de nous offrir une vision unique qui comme Philémon aurait pu embrasser sa part d’ombre et de lumière.

En attendant la nuit de Céline Rouzet, 1h44, avec Élodie Bouchez, Jean-Charles Clichet, Céleste Brunnquell – Au cinéma le 5 juin 2024.

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