Sur le papier, La Lettre intrigue tant le cinéma de Wyler ne s’apparente pas vraiment au genre du film noir. Bette Davis jouant pour la deuxième fois sous sa direction, elle incarne la femme fatale de cette adaptation du roman de Somerset Maugham. A Sumatra, une femme tue l’ami de son mari sous prétexte de s’être défendue après une tentative de viol. Mais une lettre est retrouvée, indiquant que c’était elle qui lui avait donné rendez-vous. Cela pourrait la compromettre en plein procès, si les démarches nécessaires ne sont pas faites par son avocat, ou son mari.
Sans surprises, William Wyler impose sa mise en scène dès la magnifique scène introductive où Davis sort en tuant l’homme. C’est elle qui décide d’obscurcir le lieu, la lune se révélant avant de se réfugier derrière les nuages. Encore nominée aux Oscars, Bette Davis incarne son personnage avec plus de délicatesse qu’au sein de l’Insoumise, sans imposer autant son regard difficile sur les autres. En réalité, son jeu s’exprime plutôt bien sur une meurtrière au sang-froid constant, retenant l’émotion, dans le climat exotique indonésien. Mais le cinéaste ne maîtrise pas autant les codes du film noir, que certains d’autres réalisateurs américains. Le film souffre sans doute de la comparaison avec les grands films noirs d’époque, par sa narration trop classique et les rebondissements quoiqu’un peu prévisibles.
Si l’actrice est filmée avec beaucoup d’élégance, stoïque, beaucoup de scènes restent théâtrales en partie à cause des décors. Wyler s’intéresse davantage aux expressions et comportements de Davis qu’à la manière de filmer les extérieurs et intérieurs, pourtant à l’aise en règle générale. Cela contribue toutefois à donner une aura au protagoniste, en pleine maîtrise des autres. A ce titre, La Lettre rappelle quelque peu le Shanghaï Express (1932) de Josef Von Sternberg, où Marlene Dietrich jouait un rôle très similaire dans un climat mystique et fumeux, bien que le cinéaste s’intéressât davantage aux liens qui composaient le groupe social. Wyler utilise la profondeur de champ avec ingéniosité, avant Orson Welles, pour donner de la valeur aux arrière-plans même s’il ne le fait pas autant que par la suite sa carrière.
La Lettre déçoit un peu, à ne pas vraiment faire douter du manque d’amour qu’éprouve le personnage féminin pour son mari. A l’inverse de certains films de Fritz Lang sortis par la suite, comme l’Invraisemblable Vérité (1956), la suspicion ne subsiste pas sur ses intentions. Wyler ne prend pas possession de tous ses moyens, mais le lent travelling de la première scène rend compte du génie du metteur en scène. Jugeant le scénario d’Howard Koch (Casablanca) un peu mou dans son entame, il utilise les ombres et silences pour soutenir le regard du spectateur sur sa créature à l’écran. L’atmosphère est établie, elle sera peut-être moins forte sur la durée mais suffisante pour rendre la femme fatale dans sa déconvenue.
La Lettre de William Wyler, 1h35, avec Bette Davis, Herbert Marshall, James Stephenson – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma, sorti en 1940