[RETROSPECTIVE] La Garce – Acte irréparable

Plongé dans le film noir, King Vidor adapte le roman de Stuart Engstrand après avoir réalisé Le Rebelle, très beau film se distinguant bien plus par son originalité. Cela dit, La Garce (Beyond the Forest) se fait après que la Warner Bros. acquiert les droits pour faire jouer Bette Davis, commandant Vidor à le mettre en scène. Il ne faut pas être surpris à y voir un petit film pour le cinéaste, qui s’amuse sur les contrastes de jour et de nuit, pour rendre l’actrice changeante dans ses personnalités. Après avoir vu son amant en cachette, Rosa Moline (Bette Davis) commence à s’inquiéter de se faire découvrir par son mari médecin (Joseph Cotten). Il faut remonter à la source, pour comprendre l’accusée du meurtre présenté en introduction…

La Garce commence avec beaucoup d’intentions. La ville y est présentée par le moyen de scènes très dynamiques, se concentrant sur un lieu puis un autre, où la voix-off décrit la communauté et le rapport qu’elle entretient avec Rosa. Sans perdre de temps, le personnage y est présenté comme sulfureux, dangereux, et la séquence se termine sur un flashback intervenant en fondu. Cette manière de raconter, très classique en somme pour le film noir, est intéressante lorsqu’il y a une évolution dramatique du personnage qui est le sujet même de l’enjeu du récit. Ainsi, Vidor et son scénariste rendent cela intriguant et captivant pour la simple raison que Rosa est instable, qu’elle ne sait pas quelle décision prendre, où tirer avec son fusil, sur qui, ou sur elle-même.

Dans ce registre, Bette Davis est convaincante puisqu’elle use autant de sa palette d’expressions et mimiques faciales, que de son attirail d’émotions différentes à revendre à l’écran. On peut regretter le rôle de Joseph Cotten, habitué du genre, et sous-exploité ici, mais la femme fatale qu’elle incarne est assez nuancée. Si elle a tout du personnage immoral, ses raisons la poussant à rompre le mariage et se séparer de son mari sont assez touchantes, puisqu’elle aime un autre homme. Comme dans le roman Madame Bovary (1857),il s’agit moins de tuer l’autre que de retrouver son amant, et cette impossibilité explique en partie son manque de foi en l’humanité.

Si Davis craignait à nouveau les critiques sur le fait de ne pas avoir besoin de jouer ses personnages à l’écran, elle interprète ici une femme qui ne cesse de réagir en fonction des circonstances, souvent confiante, mais également apeurée des suites des évènements. La photographie et le noir et blanc rendent compte de cette vision obscurcie du village au sein duquel l’intrigue se passe, où la mort ou l’ennui rôde aux alentours. Le médecin ou l’alcool interviennent d’eux-mêmes.

Il y a pourtant un beau déséquilibre intervenant par la musique de Max Steiner, qui renforce la beauté du cadre naturel comme le jeu discret de Cotten, en opposition à l’extravagance de celui de Bette Davis. Les rôles sont inversés, et c’est la femme qui prend le dessus sur son mari qui tente pourtant de se réconcilier un peu avec elle. Tout cela reste assez simple dans l’exécution, ne permettant pas au film d’être très fort, mais suffisamment pour que cela colle au genre. Rosa parle tant de son dégoût pour la ville qu’elle voit également en son amant, homme d’affaires incarné par David Brian, un espoir de s’évader matériellement et géographiquement. Le titre original – Beyond the Forest – est plus évocateur en ce sens, il faut passer par la forêt pour s’évader même si cela nécessite un acte irréparable.

La Garce n’est pas un grand film dans la carrière de King Vidor, que l’on sait plus inspiré pour les drames. Mais il faut reconnaître l’ambition très affirmée qui s’en dégage, surtout dans cette idée de confondre l’image sexuelle de la femme fatale à son désarroi pur. Car Rosa ne prend pas la pose pour être classe, ou écraser l’autre, elle est fidèle aux personnages de Bette Davis. Elle cache une fragilité pouvant la mener à sa perte.

La Garce de King Vidor, 1h37, avec Bette Davis, Joseph Cotten, David Brian – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma, sorti en 1949

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