[CRITIQUE] Un Triomphe – Fable sur l’altération et le spectacle

Ce sont souvent les histoires vraies qui donnent une réelle inspiration aux scénaristes et réalisateurs pour transcender les faits et donner vie à des films d’une rare émotion. Puisant dans l’enfer existentiel des limbes qu’est la vie en prison, Étienne (le personnage principal) choisit En Attendant Godot de Samuel Beckett comme pièce à jouer, un choix ironique qui leur parle néanmoins, mais pas pour les raisons auxquelles on pourrait s’attendre. Certes, ils comprennent presque instantanément le thème de la pièce, comment ne le pourraient-ils pas ? Leur vie est faite d’attente, ils s’identifient donc immédiatement aux idées centrales de la pièce. Il est cependant plus difficile de les amener à la jouer, mais Étienne persévère et, au fur et à mesure qu’Un Triomphe raconte son histoire sans hâte et réfléchie, qui, de manière plutôt agréable, ne culmine pas tout à fait là où on le pense, on commence à voir un changement chez les hommes qui ne sont pas aussi durs qu’ils le semblent et qui veulent simplement ce que nous voulons tous, que la vie ait un sens.

Bien que nous n’en sachions pas beaucoup sur les prisonniers, leurs personnalités et leurs prédilections s’écrivent en lettres majuscules : Patrick est heureux de se produire pour sa femme, Jordan réalise que c’est peut-être sa chance de faire quelque chose de valable pour la toute première fois et Kamel ne souhaite rien de plus que de voir son fils le voir en action. Nous en apprenons suffisamment pour faire passer ces hommes du statut de chair à canon à celui de personnes réelles qui découvrent que le pouvoir libérateur de l’art est peut-être trop fort quand, à la fin de la journée, ils doivent retourner dans leur cellule. Dans le rôle d’Etienne, l’acteur qui a du mal à remonter sur scène et à gérer ses frustrations personnelles, Kad Merad prouve une fois de plus qu’il est l’un des meilleurs acteurs actuels, bien plus impressionnant dans les rôles dramatiques que dans ceux qui ont fait sa gloire dans le cinéma français. Aucun autre acteur que lui ne pouvait apporter sa fragilité, cette soif dévorante d’être acteur et sa volonté de partager le plaisir de jouer. Il réussit dans ce film à nous faire rire, à nous surprendre mais aussi à nous émouvoir lors d’une scène finale qui restera longtemps marquée dans nos mémoires de cinéphiles. Les seconds rôles sont également portés par des acteurs totalement engagés, que ce soit David Ayala, Lamine Cissokho, Sofian Khammes, Pierre Lottin, Wabinlé Nabié, Alexandre Medvedev, Saïd Benchnafa, Marina Hands ou Laurent Stocker. Le grand soin apporté aux nombreux dialogues et à l’opposition entre l’univers carcéral et le monde extérieur s’est révélé passionnant. Loin de ces acteurs populaires, Un Triomphe est un film d’une rare force émotionnelle dans lequel chacun se retrouvera. Le lien émotionnel fort entre les spectateurs et ses personnages foncièrement humains nous montre que les apparences sont souvent trompeuses et qu’il faut donner sa chance à chacun.

Le thème central d’Un Triomphe n’est pas tant la façon dont l’art peut vous changer pour le mieux, bien que cela soit exploré de manière délicieuse et stimulante, mais plutôt la façon sombre et éclairante dont ce goût de la liberté et du changement peut vous condamner lorsque votre seule option est de retourner en prison une fois que votre bref goût de vie élevée a suivi son cours. Ce n’est pas nécessairement un élément déprimant de l’histoire, car Un Triomphe met côte à côte dans le film l’inspiration et ses effets, bons et mauvais, de telle sorte que l’on voit les deux côtés d’un ensemble complexe et très humain et que l’on peut comprendre pourquoi les hommes réagissent comme ils le font plus tard dans le film. Magnifiquement filmé et d’un rythme presque parfait, le film témoigne du fait que si les récits inspirants sont charmants et réchauffent l’âme, ils perdent leur pouvoir et leur véritable effet lorsqu’ils sont dépourvus de l’humanité imparfaite qui leur a donné forme en premier lieu. Être ému et inspiré est une bonne et grande chose, mais sans l’humanité derrière pour rappeler pourquoi c’est si important (et pour ces hommes, c’est vraiment important), vous courez le risque de vous retrouver avec rien de plus que des slogans de cartes de vœux mièvres. Un Triomphe n’est jamais aussi banal, et s’il vous rappelle le pouvoir de l’art, l’importance de croire et de faire confiance aux autres pour qu’ils soient plus qu’ils n’en ont l’air, et le pouvoir du changement réel pour changer la vie d’une personne, il reconnaît également que les êtres humains sont intrinsèquement complexes et que tout ce qui les implique sera toujours bien plus que la somme de ses parties, aussi séduisantes et positives soient-elles.

En plaçant le théâtre au centre du film et en montrant comment des détenus sans expérience de la scène deviennent peu à peu de grands acteurs, le film s’avère être un excellent feel-good movie qui nous donne vraiment envie d’applaudir tant le film est rempli d’un véritable amour pour le théâtre. Il montre surtout que nous avons tous droit à une seconde chance et qu’il ne faut jamais baisser les bras. Nous devons toujours donner le meilleur de nous-mêmes et surtout partager nos qualités avec les autres. Le personnage d’Etienne à qui la vie a fait peu de cadeaux, divorcé, difficultés financières, relations conflictuelles avec sa fille, trouve une seconde famille avec ces (ou ses ?) prisonniers.

Note : 4 sur 5.

Un Triomphe au cinéma le 01 septembre 2021.

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