[CRITIQUE] The Souvenir (Part II) – Enseigner à mettre en scène un premier film

The Souvenir – Partie II, suite du drame semi-autobiographique élaboré par Joanna Hogg, aurait aisément pu sombrer dans les confins d’un schéma stéréotypé. En qualité de film explorant la gestation d’une première œuvre cinématographique, cette seconde partie aurait pu rejoindre les rangs de productions éblouissantes telles que Mank ou Once Upon a Time… in Hollywood, qui se consacrent ostensiblement à la réalisation de films. Néanmoins, à travers une sincérité et une intimité revigorantes, Hogg façonne une fresque magistrale, élevant la prose de la vie à la hauteur d’un récit poignant sur la formation d’une jeune réalisatrice.

Le récit reprend là où The Souvenir – Partie I s’était arrêté, poursuivant l’odyssée de Julie (incarnée par Honor Swinton Byrne), une cinéaste en herbe en quête de perfectionnement dans l’art cinématographique. Elle doit également composer avec le traumatisme résultant d’une relation manipulatrice. Déçue par son projet de thèse, elle fait le choix de l’abandonner, contre l’avis de ses mentors, et s’attelle à la production d’un film surréaliste revisitant son passé.

Copyright Agatha A. Nitecka/Condor Distribution

“Je désire exposer la réalité telle qu’elle se manifeste dans la vraie vie,” exprime Julie lors d’une interview en fin de film. Le travail de Hogg demeure profondément ancré dans cette philosophie, se consacrant à l’exploration des subtilités de cette trame de vie inspirée par la réalité. L’œuvre de Hogg relègue les arcanes de la production cinématographique au second plan, privilégiant les méandres interpersonnels, le stress et les cicatrices des abus passés. En découle un récit délibérément lent, mais inlassablement perspicace, offrant une introspection sur la vie d’une réalisatrice en herbe. Paradoxalement, cela peut laisser le spectateur perplexité lorsqu’il constate que le film s’attarde parfois sur des intrigues demeurant sans conclusion ou traitement adéquat, une fidèle représentation de la réalité, où les problèmes ne trouvent que rarement une résolution.

Tilda Swinton, interprétant Rosalind, la mère de Julie (et véritable mère d’Honor Swinton Byrne), déploie une présence hypnotique, sans pour autant éclipser ses pairs. Son rôle secondaire offre aux deux actrices l’opportunité d’insuffler une authenticité rare à l’écran, établissant une connexion d’une profondeur exceptionnelle.

Contrairement à la vétérante Tilda Swinton, le reste du casting est constitué en grande partie d’acteurs relativement novices, ce qui contribue à l’authenticité attachante de leurs prestations. Paradoxalement, cette imperfection brute enrichit le film. Il est vrai que les échanges cordiaux de Julie avec les membres de l’équipe peuvent sembler banals, que les querelles ressemblent à des dramatiques adolescentes artificielles, et que l’embarras imprègne les rencontres familiales. Cependant, ces imperfections réussissent à capturer l’essence de la véritable nature des interactions humaines, reflétant fidèlement la réalité. Ces écueils d’interprétation ou de rythme s’effacent devant la cohérence impressionnante de la vision de Hogg. Ses plans rapprochés et les longs plans séquences issus d’une caméra immobile donnent l’impression que le public est témoin d’un secret, observant les personnages à quelques mètres de distance, à leur insu. Cette sensation est renforcée par le choix des décors. Qu’il s’agisse d’un plan sur une camionnette, d’un plateau de tournage confiné ou d’un couloir étroit d’un appartement britannique, ces décors resserrés ajoutent une couche supplémentaire d’intimité.

Copyright Joss Barratt/CondorDistribution

Le sound design poursuit le même dessein. Des bruits de fond qui, en temps normal, passeraient inaperçus, comme le bruissement des feuilles dans le vent ou les pas étouffés dans une pièce voisine, deviennent des éléments prépondérants, accentuant l’impression que le spectateur est au cœur même de l’environnement. Les couleurs, tout comme la musique, sont notablement absentes, et ce choix se justifie. Hogg opte pour une palette visuelle chaleureuse et introduit la musique avec parcimonie, et toujours dans un but bien précis : les rares scènes consacrées au processus de réalisation cinématographique. À chaque instant où Julie se trouve sur le plateau, s’appliquant à la création de son œuvre, l’écran s’anime littéralement, la saturation s’intensifie, et la musique éclipse les bruits de fond omniprésents. Cette remarquable fusion de l’auditif et du visuel souligne le cinéma en tant qu’outil d’expression personnelle, transcendant le simple divertissement, sous réserve de la volonté du créateur de jouer et d’innover.

The Souvenir – Partie II, malgré son intrigue et ses personnages qui semblent modestes, releva le défi qui aurait pu le condamner à l’insuccès. En refusant de compromettre sa quête audacieuse de dépeindre les subtilités de ses expériences, Joanna Hogg a créé un portrait captivant de l’évolution d’une jeune réalisatrice. Cette démarche a permis au public et à l’héroïne de partager une profonde admiration pour l’art cinématographique.

The Souvenir – Part II de Joanna Hogg, 1h48, avec Honor Swinton Byrne, Tilda Swinton, Richard Ayoade – Au cinéma le 2 février 2022

0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *