[CRITIQUE] Mank – rendez-vous manqué

Mank se distingue singulièrement de l’ensemble de l’œuvre du réalisateur David Fincher. Il nous offre un retour, empreint d’une folie divertissante, vers l’âge d’or du cinéma hollywoodien, en pleine ébullition politique, secoué par des loyautés éprouvées et une propagande insidieuse. Il s’agit d’une déclaration d’amour, non seulement envers les visionnaires de l’industrie cinématographique, mais également envers son propre père. Chaque élément du film est soigneusement façonné, créant une œuvre d’une beauté minutieuse. Cependant, il convient de noter que votre appréciation de cette dernière création de Netflix pourrait dépendre en grande partie de votre passion pour le cinéma, plus spécifiquement pour Citizen Kane.

Gary Oldman incarne magistralement Herman J. Mankiewicz, surnommé Mank, le légendaire scénariste d’Orson Welles pour Citizen Kane. À l’origine intitulé “American”, le film nous propose une narration à deux voix. La première suit Mank, en pleine convalescence après un malheureux accident de voiture. La seconde nous plonge dans ses errements, à la fois personnels et professionnels, qui l’ont conduit à son état actuel. Un homme noyé dans les plaisirs de la quarantaine, accablé de dettes envers Louis B. Mayer (interprété par Arliss Howard), et rédigeant des scénarios pour des personnalités telles que le prodige Welles (joué par Tom Burke), sans jamais obtenir la reconnaissance qu’il mérite. Son épouse, Sara (incarnée par Tuppence Middleton), tolère sa propension à l’alcool, car il ne cesse jamais d’être en mouvement. De plus, il a des amis influents dans sa manche, à l’image du magnat de la presse, William Randolph Hearst (interprété par Charles Dance), qui soutient ses manigances en raison de son humour inégalable.

Copyright Netflix

Le scénario de Mank est l’œuvre du père de Fincher, Jack, journaliste et scénariste américain décédé en 2003. Fincher avait initialement prévu de tourner Mank après The Game, mais les projets ont été ajournés. Le scénario de son père, d’une minutie remarquable, s’attarde sur les moindres détails, des larges cravates de soie aux saillies d’esprit de Mankiewicz. Les dialogues sont empreints du style élégant, spirituel et intemporel de Mank. La spéculations et les zones d’ombre dans l’attribution de la paternité de Citizen Kane entre Mank, loué par la respectée critique de cinéma Pauline Kael pour les dialogues du film, et Welles, acclamé par le critique Richard Meryman pour la réalisation, constituent le cœur du film de Fincher. Cet enchevêtrement, couplé à la corruption politique, la propagande, et les stratégies commerciales sournoises, demeure d’une pertinence inaltérable. Ces thèmes transcendent le temps et s’avèrent tout aussi actuels aujourd’hui qu’ils l’étaient il y a près d’un siècle.

Le film présente un casting d’exception. Lily Collins interprète avec brio Rita Alexander, l’assistante engagée pour épauler Mank et le maintenir sur la voie de l’achèvement de son chef-d’œuvre. Elle incarne l’élégance d’une époque révolue, offrant peut-être la meilleure performance de sa carrière à ce jour. Amanda Seyfried, dans un rôle éclatant et comique, donne vie à Marion Davies, une actrice sans filtre, éperdument éprise de l’art du jeu, et se révèle un véritable souffle d’air frais, enivrant et exaltant. Toutefois, Mank repose indiscutablement sur les épaules du talentueux Gary Oldman, qui ne cesse de surprendre par son aisance dans des rôles allant de Winston Churchill à Norman Stansfield. Dans ce rôle, il incarne à la perfection le personnage central, jusqu’à la toute dernière réplique d’esprit, créant ainsi une performance indélébile qui résistera à l’épreuve du temps, tout comme l’œuvre majeure de Mankiewicz.

On peut établir un parallèle entre Mank et Le Redoutable de Hazanavicius, dans la mesure où, à l’instar de ce dernier, Fincher explore les multiples facettes d’un auteur. Malgré une intrigue qui, dans l’ensemble, peine à fournir une assise solide, Fincher réussit à captiver le spectateur grâce à une mise en scène oscillant entre classicisme et modernité. Cependant, il serait malhonnête de ne pas reconnaître que c’est principalement à Gary Oldman que revient le mérite principal de ce long-métrage. Mank peut être qualifié de film mineur dans la filmographie de Fincher, sans pour autant en faire une œuvre médiocre.

Mank de David Fincher, 2h12, avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Lily Collins – Disponible sur Netflix

Critique écrite le 2 décembre 2020, mise à jour le 8 novembre 2023 par Louan Nivesse.

2
0

Un Ping

  1. Pingback: [CRITIQUE] The Killer - Erreur fatale - C'est quoi le cinéma ?

  2. Pingback: [CRITIQUE] The Souvenir (Part II) – Enseigner à mettre en scène un premier film - C'est quoi le cinéma ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *