L’on ne compte plus les réalisateurs à s’être refilé le projet, et encore moins les années de report depuis son annonce. Le hasard (si tant est que l’on puisse y croire à Hollywood) fait que The Flash tombe à pic dans le projet de refonte mené par James Gunn. Pour remettre d’aplomb l’univers cinématographique que se partagent Batman et Superman, le nouveau cerveau de DC Studios entend bien faire table rase du passé et repartir de zéro. Coup de chance : celui que l’on surnomme l’éclair rouge possède la capacité de voyager dans le passé et, par extension, de bousculer le continuum espace-temps, pouvant ainsi rayer (par inconscience dans le film) les fondations posées par Zack Snyder, il y a déjà une décennie. The Flash est donc un prétexte avant d’être un film, une excuse de deux heures et demie donnant l’opportunité au studio de réécrire les fondamentaux, juste après avoir tout dézinguer. Car la grosse machine pilotée par Andrés Muschietti ne se suffit pas du recalibrage – ou rétropédalage, selon l’angle duquel on l’appréhende : elle s’empare du remue-ménage dimensionnel pour mettre en branle une récréation super-héroïque digne du récent Spider-Man : No Way Home, où d’anciennes vedettes ressuscitent pour interagir avec la nouvelle génération grâce au croisement des réalités parallèles.
Mais tout ce carnaval cosmique, comme chez Marvel, baigne dans le cynisme et la complaisance, le blockbuster choisissant de railler ses vieilles références plutôt que de les mettre à jour, jamais décidé à s’approprier ce(ux) qu’il met en scène. The Flash donne alors l’impression de contrefaire en permanence, simulant l’expressionnisme burtonien et les ralentis de Snyder, sans en comprendre la signification. The Flash partait toutefois sur de bonnes bases en récupérant le squelette de Flashpoint, récit papier au cours duquel le héros se retrouve projeté dans un univers alternatif où sa tendre mère, normalement décédée, est vivante. Son adaptation filmique se veut bien moins enthousiasmante, malgré ses efforts pour attester de son sérieux entre deux sketchs régressifs. Pour ne rien arranger, le long-métrage dédouble son protagoniste benêt (définitivement le Barry Allen de Joss Whedon) et fait grimper le nombre de répliques débitées à la seconde, misant sur l’assommage de son spectateur (à coups de dialogues niais, de réflexions philo-débiles sur le multivers et de monologues consternants) pour lui faire oublier son manque terrible de logique et de maturité.
La présence de Michael Keaton, de retour sous la cape de la chauve-souris trente ans après Batman Returns, enfonce le clou. Si l’acteur s’était payé une belle renaissance artistique avec Birdman, film méta réfléchissant sa vraie carrière, ce dernier fait marche arrière en se prêtant au jeu fourbe de la nostalgie. Éclipsant ses compagnons dès lors qu’il entre en scène malgré une apathie communicative, le pauvre n’est le héros de rien. La majorité de ses séquences sont jouées en plein jour, enterrant l’aura monstrueuse et équivoque que lui avait confié Tim Burton, et Muschietti lui redonne à jouer ses punchlines emblématiques en ne se souciant guère du tempo. La cadence, voire l’anachronisme, semblait justement être le sujet évident de cette énième aventure en combinaison moulante. Avec son personnage en décalage en rapport au reste de la société, assez rapide pour sauver Gotham en une bouchée de sandwich mais continuellement en retard pour ses occupations quotidiennes, évoquant l’avenir de la Justice League mais courant désespéramment après le passé, The Flash tenait le bon filon pour interroger la notion de temps chez les super-humains, sonder ce qui reste à travers les âges et mettre le doigt sur ce qui doit mourir.
Au lieu de cela, le blockbuster concentre ses efforts sur son empilage de caméos et de blagues abrutissantes, tournant ses thématiques en dérision, et sert un spectacle d’une laideur incomparable. Pétri d’effets spéciaux ratés, de doublures numériques ramenant au Pôle Express de Robert Zemeckis et de raccords foireux, le long-métrage d’Andrés Muschietti bat les records de Thor : Love and Thunder et Ant-Man et la Guêpe : Quantumania, deux épisodes récents s’étant particulièrement démarqués par leur misère esthétique. Unique éclaircie au beau milieu de cet océan de mauvais goût : la Supergirl renfrognée de Sasha Calle, dont le rôle se résume à peu de mots, en impose derrière ses cheveux en bataille. The Flash n’aura aucune pitié à la sacrifier avec la même négligence que tout ce qu’il emprunte ailleurs.
The Flash de Andrés Muschietti, 2h35, avec Ezra Miller, Michael Keaton, Sasha Calle – Au cinéma le 14 juin 2023.