[CRITIQUE] The Creator – La science-fiction des autres

Il eut été tragique que Star Wars provoque la retraite définitive de Gareth Edwards. Rincé par le tournage du spin-off Rogue One, le réalisateur britannique n’avait plus donné signe de vie depuis ses travaux chez Disney. Mais la fatigue n’est pas le seul motif de cette récente discrétion : Edwards est également de ces cinéastes qui sélectionnent habilement leurs projets. Son flair l’a poussé, par exemple, à refuser la direction de Godzilla 2 : Roi des Monstres – bien qu’il eut supervisé le précédent – et tout un tas d’autres monstres hollywoodiens à plusieurs centaines de millions de dollars pour, après quatre ans de repos, plancher à nouveau sur son genre de prédilection. C’est l’une des autres caractéristiques de sa courte filmographie : le bonhomme est un fanatique de la science-fiction, bercé durant sa jeunesse par la cultissime saga de George Lucas et le E.T. de Steven Spielberg, plus tard par Akira et les gros engins de James Cameron. Ses trois premiers films signalaient déjà son éducation geek, ses inspirations de blockbusters eighties, mais aucun n’indiquait aussi fortement la vénération du réalisateur pour ses modèles que son dernier-né.

Avec The Creator, Edwards récite sa leçon comme un bon élève : apocalypse nucléaire, robots pourvus de sentiments, fusillades lasers aux airs de guérilla urbaine, père endeuillé et fillette-miracle, etc. Pas un centimètre de pellicule ne semble échapper à l’influence des monuments du cinéma, de la littérature et du jeu vidéo. Les poncifs, le metteur en scène en use comme balises de son histoire, mais aussi comme points d’embranchement entre ses références, qu’il noue justement par le biais de leurs analogies. Sans manières, The Creator combine l’iconographie urbaine de Ghost in the Shell à celle de Blade Runner, les décharges sociales de District 9 à celles de Gunnm ou encore les ficelles dramatiques de Baby Cart à celles de The Last of Us. De cette façon, le blockbuster crée des carrefours logiques pour citer l’ensemble de ses aînés d’une seule traite, une astuce qui pointe également son plus gros paradoxe : si le quatrième long-métrage de Gareth Edwards se base officiellement sur un scénario original, puisque détaché de licences pré-existantes, ce dernier n’en reste pas moins prisonnier d’un héritage pesant et fiévreusement entretenu par Hollywood.

© 20th Century Studios.

Ce sont plutôt ses détails de fabrication qui en font une petite anomalie parmi les machines américaines. Monté pour une somme dérisoire en rapport à ses ambitions (quatre fois moins que le dernier Mission : Impossible, lui aussi penché sur le cas de l’intelligence artificielle), The Creator convertit son humble budget en argument imparable. Son tournage en décors réels et non sur fonds verts, notamment, l’aide à bâtir une imagerie lumineuse et vivante, bourrée d’aspérités et aussitôt palpable. Il en va de même pour sa gestion des trucages numériques, méticuleuse et réduite au strict nécessaire, coordonnée aux éléments concrets pour ne jamais les désincarner. Dans ses meilleurs moments, Gareth Edwards retourne à la poésie de son bouleversant Monsters, dans lequel un couple de personnages arpentaient un monde parti en fumée. Le cinéaste ébauchait là ses héros suivants, petites gens du sol confrontées au gigantesque du ciel.

The Creator ne compte pas d’aliens ou d’Étoile Noire dans son inventaire de science-fiction, mais un vaisseau géant, propriété d’une Amérique prête à dégommer ses opposants à coups d’ogives (le sous-texte politique est tout aussi peu subtil), et dont les apparitions inspirent au long-métrage ses visions les plus sidérantes. Le réalisateur rejoue l’urgence de Rogue One, caméra à l’épaule, contre-plongées à foison, toujours accroché à la disproportion des monstres (organiques ou technologiques) qu’il met en scène. Le spectacle est d’une beauté hallucinante et mortelle, à défaut de surprendre. Là est la limite du projet : aussi éblouissantes soient ses images, aussi fort soit John David Washington en soldat du futur, le blockbuster court tant après les mythes d’autrui qu’il étouffe le sien. Gareth Edwards n’en perd pas son statut de jeune prodige, le technicien en lui fait toujours des miracles avec ses focales et livre ici un divertissement convaincant, mais il lui faudrait lâcher ses films de chevets pour espérer atteindre leur niveau.

The Creator de Gareth Edwards, 2h13, avec John David Washington, Gemma Chan, Ken Watanabe – Au cinéma le 27 septembre 2023

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