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[CRITIQUE] Pinocchio – La monstruosité numérique de l’année

Il faut croire que tout est possible. Celui qui se souvient des années Amblin rapprochera toujours Robert Zemeckis du compère Steven Spielberg, à la fois dans la manière d’approcher le divertissement et le rapport à l’enfance, l’adolescence. Pinocchio est un des films d’animation les plus passionnants de Disney Studios, parce qu’il confronte de grands thèmes tragiques (la peur de l’autre, le rejet de l’étranger) au récit initiatique d’un jouet sur le point de prendre vie. L’histoire est retranscrite à quelques exceptions près sur cette adaptation live action. Gepetto attend le lendemain matin pour voir naître Pinocchio en vie, le pantin de bois qu’il chérit davantage que ses horloges. Alors qu’il est sur le point d’aller à l’école, sa conscience incarnée en Jiminy Cricket l’avertit des dangers de la rue, et de la ville. Le forain Stromboli est sur le point de lui barrer la route, et les vents de la mer laissent à penser que le pire est à venir…

Le film dérange d’abord parce qu’il n’est pas cohérent dans sa manière de représenter le monde, disons la société inscrivant Pinocchio dans l’univers fictif. Si le pantin en bois « en vie » est tout à fait crédible dans sa représentation, quelque peu touchante de l’handicapé physique, cela n’est absolument pas le cas des autres personnages. Faute aux images de synthèse déjà vieillissantes, il est difficile de croire aux personnages animaux, comme l’insecte suivant Pinocchio, en décalage visuel avec le personnage principal. Il en est de même pour la fée, Gepetto et Stromboli, aux visages lisses, qui ne sont pas en accord avec le propos original du film d’animation.

Il est assez peu compréhensible de constater le manque de présence de Stromboli à l’écran, pourtant point central de l’intrigue du long-métrage original. C’est en effet par celui-ci que Pinocchio découvre la cruauté du monde extérieur, pervers et maléfique. Mais le cinéaste n’en fait rien, le réduisant à un profiteur capitaliste dont la seule motivation consiste à exploiter Pinocchio comme bête de foire. Cela était déjà le cas sur la première version du personnage, mais allait beaucoup plus loin dans le sous-propos, conduisant le pantin à prendre peur d’un tortionnaire aux obsessions financières avérées, mais mêmes sexuelles implicitement. Il est évident que Stromboli incarne le pire de l’être humain, profitant de la fragilité de l’enfance pour l’enfermer et en user contre tout consentement. Rien de tout cela n’est exploité, l’intrigue se résumant à une aventure somme toute banale.

La société n’est ni menaçante ni impressionnante visuellement, au contraire on pourrait la croire sublimée puisque Zemeckis la filme de nuit, bien éclairée. Tout cela manque de contexte social, et Tom Hanks peut y mettre du sien mais rien n’y fait, il est difficile de croire au danger auquel Pinocchio fait face. Les fautes de goût sont nombreuses, à commencer par l’autoréférence lorsque les jouets Jessica Rabbit, Toy Story et autres personnages Disney se dressent sur l’étagère de Gepetto. L’inclusion de cet élément est déjà futile, mais en contradiction en quelque sorte avec le propos du film. Il s’agit de jouets non créés par Gepetto, pourtant créateur original et auto-entrepreneur de qualité. Pire, cela est assez révélateur du caractère industriel propre aux Studios Disney. Le monde de l’art est réduit à un ensemble acquis à la cause de Disney, que l’on ne peut remettre en question.

On passera certaines scènes franchement ridicules, mais le film ne parvient jamais à vraiment émouvoir. Cela est triste, puisque Robert Zemeckis était parmi les mieux placés pour livrer une belle adaptation de Pinocchio, lui qui connait mieux que personne les étapes clés de la relève du handicap, maintes fois exploité sur ses anciens films. Au lieu de cela, le long-métrage ne trouve pas son identité dramatique et esthétique, modifiant certains éléments de l’intrigue pour les rendre moins impactants, et surtout moins jolis. Le numérique rend les environnements lisses, y compris le Monstros pourtant bien terrifiant dans le film d’animation Disney.

Pinocchio est un naufrage en tant que film live, mais surtout pour le talent incontesté de Robert Zemeckis en maître de divertissement. La morale est quelque peu différente du film d’animation, Pinocchio prenant vie en raison du surpassement des dangers physiques, plus que parce qu’il a pris conscience de l’opportunisme social. Le film n’est pas déplaisant à suivre dans son climax, mais l’ensemble est bien trop propre et convenu pour que l’on puisse y trouver quelconque intérêt. L’écriture et les dialogues sont indignes, comme les effets spéciaux et la réalisation. C’est un conte sans saveur, sans magie auquel nous convie Disney. L’animation au crayon n’a jamais autant manqué qu’aujourd’hui. Il faut revoir le film de 1940.

Note : 1.5 sur 5.

Pinocchio sur Disney+ le 8 septembre 2022.