[CRITIQUE] – Passages – La caresse d’une main sur la joue

L’amour, notion complexe s’il en est pour nous, êtres humains… Une notion tellement complexe qu’elle est le sujet principal de toutes nos formes de représentation artistique ! Et pourtant, il y aura toujours des choses à dire sur l’amour, sur sa facilité, sur ses bienfaits, sur sa véracité, sur son but ultime ou au contraire, sur sa destruction, son empoisonnement, son enfermement et sur sa fin. On peut se demander s’il est toujours aussi nécessaire de parler d’amour de nos jours. Shakespeare a signé l’histoire d’amour la plus universelle du monde avec Roméo et Juliette. Autant en emporte le vent a montré que même les individus les plus sombres ont le droit d’aimer (en souffrant certes, mais le droit quand même). Des réalisateurs modernes nous livrent encore des récits passionnants de relations amoureuses palpitantes : Marc Webb avec (500) jours ensemble, Damien Chazelle avec La La Land… Même des divertissements bourrins comme la saga John Wick ont pour sous-texte l’amour. Ainsi, à mon sens, c’est un sujet qu’il faut soigner et continuer à creuser afin d’en faire ressortir de nouvelles facettes et de nous conduire, nous, chers amoureux, vers une vision neuve de l’amour. Et à cet égard, remercions Ira Sachs de nous parler de l’amour à travers sa complexité.

Passages est un film drame/romance réalisé par Ira Sachs, dans lequel nous suivons Tomas (Franz Rogowski), un réalisateur de films venant de terminer son dernier tournage en compagnie de son compagnon Martin (Ben Whishaw). Alors qu’ils fêtent cette fin de tournage en boîte de nuit, Tomas rencontre Agathe (Adèle Exarchopoulos) : une jeune institutrice venue faire la fête avec ses amis. Tous deux se rapprochent très rapidement et finissent la soirée dans le même lit. Tomas découvre alors une attraction irrésistible pour Agathe et décide d’en parler à Martin. Malgré sa désapprobation, Martin laisse Tomas valser d’un amant à l’autre.

© SBS Distribution

Derrière une simple histoire d’adultère, Ira Sachs nous dévoile en réalité une réflexion sur l’amour contemporain. Il tente de répondre à la question : qu’est-ce que l’amour aujourd’hui ?

Les allers et retours entre les deux couples s’enchaînent, et l’on cherche avec Tomas à être heureux. La force du personnage de Tomas réside dans sa frustration. Dès la première scène du film, on le voit diriger des acteurs sur son lieu de travail, et déjà il est à la recherche de la perfection. Cette quête perfectionniste de l’amour et du désir en découle pour ce personnage, ainsi que pour nous, spectateurs. C’est là la force du film : nous embarquer dans les dilemmes de son personnage principal. On s’attache émotionnellement à Tomas, Martin et Agathe. Et cela est dû à la direction d’acteur de Sachs.

Car soyons clairs, la force du film ne réside pas dans sa réalisation, son rythme ou l’absence de sa bande sonore. La véritable force réside dans les acteurs et leur direction. Passages peut parfois traîner en longueur avec une partie centrale faite d’allers et retours, entraînant non seulement la perte des personnages, mais aussi la nôtre. Est-ce voulu ? Oui, certainement, mais cet effet peut susciter soit de l’ennui, soit de l’indifférence. Comment se frayer un chemin à travers cette mise en scène lourde ? En s’accrochant au jeu d’acteur qui est BRILLANT. Il est rare de voir une parole d’acteur captiver sans artifices de caméra, avec simplicité et sincérité. Cela demande une certaine douceur et une maîtrise de la part des interprètes des personnages, et évidemment, cela passe par leur direction.

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Délicatesse, intensité, douce violence… Ce sont autant de termes contradictoires qui définissent de manière appropriée le jeu des acteurs de Passages. Et cela s’applique à tous les rôles, des principaux jusqu’aux personnages qui ne font qu’une brève apparition. On remarque notamment Adèle Exarchopoulos, qui se retrouve à chercher la douceur et l’intensité poétique auprès de réalisateurs américains, alors que les réalisateurs français l’ont simplement enfermée dans un certain type de personnage. Il y a également Ben Whishaw, le très grand Ben Whishaw, dont on apprécie une fois de plus les émotions contenues. Malgré les épreuves qui s’abattent sur son personnage, il trouve sa force dans le silence et le regard. Et enfin, Franz Rogowski, que nous avons récemment découvert dans l’excellent Disco Boy, revient ici pour nous montrer toute sa puissance d’interprétation émotionnelle, nous transmettant un sentiment de compassion profond à travers son personnage. Sans oublier les seconds rôles : Erwan Fale, Léa Boubil, Théo Cholbi, Anton Salachas, qui portent ce récit avec force et douceur.

Passages n’est pas un film explosif, sensuel ou difficile à regarder. C’est plutôt un bonbon doux, à la fois sucré et amer. Sa lenteur parfois ennuyeuse est compensée par ses acteurs. Ils sont dirigés avec douceur et sincérité, au service de l’œuvre et de son histoire. Nous remercions Ira Sachs de leur offrir cette force poétique si rare de nos jours, qui permet de porter cette réflexion sur la complexité de l’amour moderne, entre désir et sentiment : la caresse d’une main sur la joue.

Passages de Ira Sachs, 1h31, avec Franz Rogowski, Ben Whishaw, Adèle Exarchopoulos – Au cinéma le 28 juin 2023

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