[CRITIQUE] Nightmare Alley – La comédie humaine

Deuxième adaptation du roman écrit par William Lindsay Gresham, le film de Guillermo Del Toro avait de quoi rendre curieux même les plus réticents à son cinéma. S’agissant d’une intrigue de film noir, le cinéaste mexicain devait joindre ses monstres fétiches pour se rallier à sa fibre habituelle. En est-il le cas ? On y suivra le parcours de Stanton Carlisle (Bradley Cooper), jeune arnaqueur embauché pour travailler dans le cirque croisé sur sa route, qui commencera par exercer les spectacles de télépathie avec Molly (Rooney Mara). Tout cela commence à tourner mal lorsque Stan croise la route de la psychologue Lilith Ritter (Cate Blanchett), lui rappelant les risques de sa pratique et les conséquences qui en découleraient…

L’exercice n’est pas le plus évident pour Guillermo Del Toro, puisqu’il s’agit ici de renouveler l’intrigue telle que brillamment retranscrite en 1947 par Edmund Goulding, sans tomber dans la répétition. Freak show et fête foraine, le réalisateur s’en sort bien à évoquer davantage le monstre inné « humain » plutôt que le physique dans le film, ce que l’on pouvait déjà entrevoir dans le Labyrinthe de Pan (Sergi Lopez), mais encore dernièrement dans la Forme de l’eau (Michael Shannon). Ainsi, le personnage incarné par Bradley Cooper devient lâche au fur et à mesure du long-métrage, parce qu’il saisit toutes les occasions des circonstances, qui pourraient lui rendre la vie plus simple. Sans tomber dans les effets scénaristiques les plus appuyés de certains de ses films, ce basculement envisagé par Del Toro prend toute sa logique puisqu’il est souligné d’emblée par le décor et la lumière, donnant une atmosphère très lugubre. Le parallèle peut se dresser entre ce prologue et l’épilogue, Carlisle étant devenu le nouveau freak du cirque, celui que l’on essaye perpétuellement d’attraper et de battre. Le cinéaste ne délaisse pas pour autant son esthétique habituelle, à l’image du monstre aperçu en verre, mais également à l’occasion d’une scène cruciale dans l’intrigue, dressant Molly en robe souillée de sang.

Fuis moi, je te suis.

La direction artistique de Tamara Deverell est très travaillée, rappelant celle de Crimson Peak (2015) et participe encore une fois, à l’ambiance générale. Des hommages au Freaks (1932) de Tod Browning, Nightmare Alley en poursuit ses grandes thématiques (comme la première adaptation) en côtoyant le sort de ses différents personnages, aux grandes illusions et ne pensant au fond qu’à une seule chose : le profit. C’est une mécanique infernale, rappelée en fin de film par le gérant, puisqu’au fond, le spectacle n’existe que parce qu’il faut rémunérer les artistes-freaks arnaqueurs. La déshumanisation est donc collective, du pêché amoureux (Toni Collette) à l’absence d’amour jusqu’au suicide, ses personnages prétendent se connecter aux autres mais oublient au fond, de rester fidèle à eux-mêmes. Ce n’est pas nécessairement très subtil, puisque tout cela est assez prévisible, mais il est difficile de le reprocher intégralement, puisque cela découle du principe du film-malédiction, encore plus inhérent au film noir !

L’enfer est à lui.

Malheureusement, et malgré de bonnes performances, Nightmare Alley perd sur la durée en comparaison de l’adaptation de Goulding. Certaines séquences sont remises à niveau, et parfaitement mises en scène, quitte à ajouter de nouveaux éléments (détecteur de mensonges, scènes avec la psychologue) mais sont souvent moins efficaces. Bradley Cooper incarne très bien ce personnage aux grandes espérances, mais il faut dire que l’interprétation de Tyrone Power reste davantage en tête en fin de compte. Cependant, il faut souligner l’intelligence d’avoir su terminer le long-métrage, non pas sur un faux-happy ending (Goulding) mais l’accomplissement d’une tragédie du « hanged man » retranscrite plus tôt par le tarot.  L’issue est fatale, sans échappatoire, mais Stanton n’est que le malheureux premier à sombrer. Les autres, trouveront leur sort quand l’avenir le leur réservera.

Nightmare Alley est un beau morceau de cinéma composé par Guillermo Del Toro, rendant hommage au film noir. Malgré ses quelques longueurs, le long-métrage témoigne d’une habileté à jongler entre la déchéance d’un homme et celle d’une mascarade de cirque perpétuée de jour en jour. Les véritables monstres sont ceux qui jouent des sentiments des autres, la difformité restant de toute manière propre à tout individu. C’est une adaptation plus que respectable, indéniablement à découvrir en salles.

Note : 3.5 sur 5.

Nightmare Alley, au cinéma le 19 janvier.

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