[CRITIQUE] Napoléon – L’Empereur de la farce

Pour l’abonné aux fresques historiques qu’est Ridley Scott, réaliser Napoléon, c’est un peu comme renfiler ses vieux chaussons. Des chaussons encore chauds, en l’occurrence, puisque le metteur en scène enchaîne depuis Le Dernier Duel les drames en costumes, comme le signe d’un regain d’inspiration après une traversée du désert – et de l’espace, avec les préquels fanés d’Alien – qui commençait à durer. Sur sa lancée, le réalisateur s’attaque à la vie du célèbre Bonaparte, le soldat corse parvenu au titre d’Empereur de France. Il connaît bien l’époque : son premier long-métrage, Les Duellistes, retraçait la querelle égotique de deux officiers de l’armée napoléonienne. Le Petit Caporal ne s’y montrait pas, mais cette incursion originelle dans le passé présupposait le culte du cinéaste pour les capes et les épées, moins pour l’héroïsme qu’elles induisent dans l’imaginaire collectif. Si le réalisateur de Robin des Bois, Exodus : Gods and Kings et House of Gucci s’est plu à passer au fil de sa caméra nombre de figures mytho-historiques, il s’est principalement attaché à leur déconstruction, ses focales braquées sur les petits rouages qui font les grands personnages.

Scott se soucie donc moins des couronnes (ou bicornes) que de celui qui les collectionne, comme il vise davantage à établir les intentions derrière chaque campagne militaire plutôt que de louer leurs réussites. Dans cette version raccourcie pour le cinéma, les scènes se répondent mécaniquement, mais leur agencement est parlant : le metteur en scène jongle entre la chambre et le champ de bataille, et lace les deux décors par la personnalité adolescente de son sujet, gamin jaloux soulageant ses frustrations intimes par la guerre. Napoléon est bel et bien un stratège de génie, il est aussi un commandant impulsif et un amant déplorable. Le goût récent de Scott pour le guignolesque convertit ce contraste en objet de comédie et lui fait troquer la gravité du biopic contre une ambiance de farce. Joaquin Phoenix s’en donne à cœur joie : cabotin, l’acteur ressert la partition clownesque de Beau is Afraid dans lequel il campait déjà un enfant de quarante ans.

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Face à lui, et au cœur de tout – ce que tend à prouver ce scénario –, il y a Joséphine de Beauharnais, la femme qui polarise l’attention du futur dirigeant et qui aurait motivé ses conquêtes. C’est en tout cas ce que vend Ridley Scott en s’agrippant à la relation toxique de Bonaparte et son épouse, pris dans un étrange jeu de domination qui donne à Vanessa Kirby ses seules répliques. La performance de la comédienne n’est pas épargnée par les rafales d’ellipses qui soumettent le film à un rythme étrange, la narration se divisant en une succession de dates clés qui, la majorité du temps, pourrait se réduire à un plan, repris de peintures bien connues. Les tableaux de ce Napoléon sont eux animés par l’immaturité et l’égoïsme du personnage, qui dépouille des pharaons momifiés depuis des siècles et grimpe des trônes couverts de fientes. Ses faits d’armes n’en sont pas moins impressionnants, car Scott est un as du grand spectacle.

Ses séquences de bataille, brutales et massives, où se culbutent les armées sur fond de chants corses, sont grandioses pour ce qu’elles disent de leur artisan, technicien hors pair et misanthrope dans l’âme, qui perçoit la renommée des hommes comme l’aboutissement d’une gargantuesque mise à mort. C’est ainsi que le cinéaste inclut son personnage dans l’histoire : en lui donnant la responsabilité de pertes humaines innombrables, qu’il falsifie plus tard en anecdotes à sa gloire. L’ouverture mensongère du long-métrage, faisant assister Bonaparte à l’exécution de Marie-Antoinette, comme un paquet d’autres inepties historiques présentes au script, trouvent là leur justification. L’Empereur nourrit son mythe en le récitant lui-même, à ses troupes, à qui veut l’entendre. Il tait donc sa course laborieuse à Toulon, dont le siège nocturne compose la première scène d’action du film – et potentiellement sa plus efficace –, où la réalisation de Ridley Scott prévient de la supercherie. Pris de panique, échappant on ne sait trop comment aux feux anglais, Napoléon remporte l’affrontement, à bout de souffle. À l’aube, quand les lumières se rallument, le capitaine s’est recoiffé, mine de rien.

Napoléon de Ridley Scott, 2h38, avec Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim – Au cinéma le 22 novembre 2023.

6/10
Note de l'équipe
  • JACK
    6/10 Satisfaisant
    Le Napoléon de Ridley Scott passe mécaniquement de la chambre aux champs de bataille, comme il jongle entre la comédie guignolesque et le drame épique.
  • William Carlier
    6/10 Satisfaisant
  • Vincent Pelisse
    6/10 Satisfaisant
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