[CRITIQUE ] Madame Web – À la lisière du nanar

Pour le cinéma de super-héros, c’est la dégringolade. Et l’on serait tenté de penser, si ses films Spider-Verse ne le compensaient un minimum, que Sony travaille vivement à son éradication en persistant dans son projet de franchise Spider-Man sans Spider-Man. En dépit du bon sens, et en parallèle de ses merveilles en animation, le studio enchaîne les Venom et Morbius, blockbusters boiteux, vidés de toute substance, et dont les relents ravivent le souvenir d’un temps pas si lointain : quand les personnages secondaires de l’univers Marvel étaient au cœur de productions prosaïques, voire daubées, comme le furent Elektra, Daredevil et autres Punisher. En somme, Sony fait dans le régressif, et ce n’est pas son dernier méfait en date qui fera dire le contraire. Petite pirouette, cela dit, puisque ses scénaristes (à l’œuvre sur Gods of Egypt) incluent cette fois un homme-araignée à leur délire. Toujours pas de Peter Parker à l’horizon (à moins que…), mais un type en combinaison moulante et qui colle aux murs, pourchassant nos héroïnes du jour avant qu’elles n’héritent de pouvoirs arachnéens.

C’est là son autre argument de vente : si Sony ne s’autorise pas à exploiter le Spider-Man originel (peut-être pour des questions de droits, très probablement par bêtise), Madame Web compte sur la présence de quatre potentielles tisseuses de toile pour habiller son univers. La plus âgée d’entre elles donne son nom au long-métrage, c’est une piste trompeuse. Le film de S.J. Clarkson est bien plus porté sur la sororité du quatuor que sur les sobriquets de super-héros. Le personnage de Tahar Rahim fait presque tâche dans ce New York étalonné à la truelle : nullement mis en valeur, filmé comme n’importe quel décombre de synthèse, ce Terminator de latex est relégué à la figuration, tel le signe définitif que le genre et ce qu’il comprend de drôleries (scène d’action, capes et collants, jalons mythologiques) sont loin des préoccupations de la réalisatrice. Le rejet d’un certain cahier des charges, comme d’une esthétique standardisée, ne serait pas aussi dommageable si Madame Web y trouvait une alternative. Là encore, Clarkson se montre démissionnaire : son film n’est qu’un raccordement d’images et de sons discordants, un pur produit dévitalisé, le stade final du cancer dont souffre le divertissement populaire américain.

© 2024 CTMG

Le désintérêt manifeste frappe également les comédiens de ce spectacle à quatre-vingt millions de dollars (pas un centime n’est perceptible à l’écran). Leur endormissement a cependant pour vertu de faire dissoner la moindre réplique, ce qui confère à Madame Web un timbre particulier, involontairement savoureux, à la bordure du nanar. Et c’est bien ce qui, sans le sauver, empêche le blockbuster d’être un pur objet de torture filmique. L’ensemble relève d’un tel niveau d’inconsistance et d’absence de goût qu’il tend à une forme de comédie loufoque, totalement incontrôlée, abreuvée à la pelle de dialogues lourdauds, de silences inconfortables, de plans affreux, d’incohérences éléphantesques. Et cela ne fait qu’empirer : tandis que le scénario simule la progression de ses protagonistes – qui ne font que se déplacer géographiquement tout du long –, les effets du ratage se font plus présents, plus incisifs, jusqu’à ce que tout explose (au propre comme au figuré) dans un affrontement final qui motive la réhabilitation du tout récent The Marvels – la dernière itération féminine de la saga Avengers.

Les héroïnes de Kevin Feige, elles, pouvaient toujours cacher le caractère insipide de leur bravade par leur alchimie palpable. Celles de Sony, toutes débarquées d’un seul coup, fringuées en stéréotypes, n’ont aucune toile à laquelle se raccrocher. Il ne leur reste qu’à devenir les icônes du risible comme leurs collègues masculins, figures respectables dans les cases de comic books et emblèmes du grotesque dans les salles obscures, autour desquels s’articule un renversement toutefois non négligeable : l’éclosion de tels projets et leur prolifération exponentielle indiquent la fin du nouvel âge d’or pour les super-justiciers, entamé en ce début de siècle et révolu vingt ans plus tard. Il est enfin assez ironique de voir l’action de Madame Web s’écouler en 2003 (ce que le film soutient en musiques et campagnes publicitaires pseudo-cultes) : tout ce qui en sort est préhistorique.

Madame Web de S.J. Clarkson, 1h57, avec Dakota Johnson, Sydney Sweeney, Jennifer Ellis – Au cinéma le 14 février 2024.

3/10
Note de l'équipe
  • JACK
    2/10 "C'est nul !"
    Madame Web relève d’un tel niveau d’inconsistance et d’absence de goût qu’il tend à une forme de comédie loufoque, totalement incontrôlée, abreuvée à la pelle de dialogues lourdauds, de silences inconfortables, de plans affreux et d’incohérences hilarantes.
  • Louan Nivesse
    2/10 "C'est nul !"
    Dans l'univers Sony, teinté des années 2000, "Madame Web" semble emprunter sans vergogne le chemin tortueux de l'une des pires productions de cette époque : "Catwoman". Ici, point de félin pour insuffler la vie à Halle Berry, mais une arachnide ; plus de Sharon Stone qui succombe en chutant d'un gratte-ciel pour être écrasée, tel un coup fatal, par le logo de Beau-Line, mais un Tahar Rahim, doublé en post-production, reproduisant cette chute pour être écrasé par un imposant "S" (comme "Sombre merde") ; ajoutez à cela le morceau "Scandalous" de Mis Teeq et le comparse Ben Parker (sérieusement..) caractérisé tel l'agent Tom Lone, et vous obtenez cet amas fastidieux qui parvient à être moins divertissant que l'excès de CGI ridicule de Pitof.
  • Vincent Pelisse
    4/10 Passable
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