[CRITIQUE] Morbius – Adaptation leucémique

Il semble que l’ère des productions cinématographiques sur les super-héros, oscillant entre une extravagance choquante et une indécence déconcertante, refuse obstinément de s’éteindre. Bien qu’on puisse déceler par-ci par-là quelques éclats de créativité ambitieuse ou d’idées dignes d’une seconde chance dans une suite, l’avènement de Morbius incarne le plus sinistre avatar de ces adaptations de bandes dessinées depuis le fiasco lamentable de Venom : Let There Be Carnage (qui, en passant, demeure un souvenir plutôt frais). Les artifices visuels figurent parmi les plus laids que les superproductions modernes aient jamais exhibés, et les personnages, lorsqu’ils succombent à leur côté vampirique, deviennent l’incarnation même du ridicule. Ces métamorphoses, dépourvues de subtilité et de finesse, déconcertent tant par leur aspect que par leur interprétation absurde, au point qu’il est difficile de blâmer quiconque désirerait écourter ces 100 minutes en souhaitant simplement offrir une barre Snickers au Dr Michael Morbius (incarné par Jared Leto), car il n’est tout simplement pas lui-même lorsqu’il est en proie à sa soif de sang.

Des personnages bien construits et une narration habile peuvent surmonter les lacunes d’une infographie de qualité médiocre. Hélas, Morbius semble avoir été conçu par des stratèges publicitaires (sous la direction de Daniel Espinosa, avec les plumes de Matt Sazama et Burk Sharpless) dans le simple dessein d’esquisser les contours des protagonistes sans réellement les caractériser. Fondé sur un personnage créé par Roy Thomas et Gil Kane, Morbius semble se contenter de présenter une version tronquée du héros aux spectateurs. Dépourvu de contexte, le récit démarre sur les chapeaux de roues avec le bon docteur rapatriant des chauves-souris exotiques du Costa Rica vers New York. Bien qu’il soit mentionné qu’il est atteint d’une maladie sanguine congénitale, cette séquence donne néanmoins l’impression de plonger au beau milieu de l’action. L’histoire remonte ensuite de trente ans en arrière, dans un hôpital pour enfants souffrant de pathologies similaires, où Michael noue une amitié avec Milo (incarné par Matt Smith à l’âge adulte), un jeune harcelé. C’est également à cet endroit que Michael dévoile son génie en réparant un appareil de transfusion sanguine défectueux, démontant le panneau de contrôle pour le rafistoler à l’aide d’un simple stylo à bille. Leur médecin, Emil Nikols (interprété par un Jared Harris malheureusement sous-exploité), s’en émeut presque de la même manière que le célèbre méchant qui s’étonne de ce que Tony Stark ait pu bricoler dans une grotte avec des morceaux de ferraille. Il semblerait que les réalisateurs aient avidement cherché à créer une nouvelle réplique culte. À un moment donné, une fois que Michael est devenu vampire et que son sang artificiel vient à manquer, il lance : “Vous ne m’aimerez pas quand j’aurai faim“, tel une variation de l’Incroyable Hulk. Une plaisanterie de bien mauvais goût qui témoigne du peu d’efforts investis par les scénaristes dans le développement du personnage.

Quoi qu’il en soit, Michael obtient une bourse d’études complète et devient le brillant médecin que l’on nous présente, consacrant sa vie à la guérison des affections sanguines. Son amitié avec Milo perdure également, une amitié apparemment indéfectible, célébrée par des références à la résilience et à la force des Spartiates (eux aussi, affrontant l’adversité en nombre réduit). Malgré l’espoir que cette analogie puisse être explorée, les réalisateurs décident de passer à autre chose. Il ne faut pas longtemps avant que les expérimentations de Michael ne le transforment de manière irréversible et inattendue, le conduisant à tuer et à se repaître du sang d’une équipe de sécurité entière. Après avoir repris ses esprits grâce à du sang artificiel, il s’engage solennellement à ne plus jamais laisser pareille tragédie se reproduire, tout en poursuivant ses expériences sur son propre corps. Parallèlement, son assistante médicale Martine Bancroft (incarnée par Adria Arjona) observe avec horreur cette métamorphose, se retrouvant ensuite entraînée dans une intrigue romantique secondaire des plus conventionnelles. Peu après (comme pour tous les autres aspects de cette histoire), Milo découvre que Michael a élaboré un sérum efficace à partir de chauves-souris et ne perd pas un instant pour lui voler dans le dos, conscient des désirs inextinguibles que ce remède suscite. La tentation du sang, à laquelle il est impossible de résister lorsque le sang artificiel vient à manquer, pourrait conduire Michael à commettre l’impensable pour éviter de blesser autrui, mais pas avant d’avoir mis fin à Milo.

Plusieurs scènes d’action semblent puisées dans les pires adaptations vidéoludiques de bandes dessinées du début des années 2000 (l’une des capacités de Michael étant l’écholocation, rendue visuellement comme si le joueur manipulait la manette pour explorer la zone, mais avec des effets visuels fades). Les ralentis sont aussi nombreux que dans un film de Zack Snyder, mais loin d’être aussi captivants. La confrontation finale s’achève aussi rapidement qu’elle a commencé, bien que ce soit peut-être une grâce divine étant donné la trahison et la rivalité forcées qui émergent entre Michael et Milo. Morbius présente également un aspect extrêmement problématique avec des motivations mal définies pour un méchant handicapé. Si l’on peut comprendre que Milo souhaite que le monde comprenne la souffrance physique et émotionnelle que lui inflige sa maladie, il est ici poussé à bout par une malédiction chaotique qui se soucie peu de l’humanité du méchant. Le potentiel d’une réflexion profonde sur Morbius existe, notamment en se concentrant sur ces personnages handicapés avec respect et une attention dépassant le simple dualisme “super-héros contre super-vilain”. Malgré les efforts de Matt Smith pour insuffler à Milo une présence flamboyante, ces tentatives sont vaines, faute d’un scénario plus consistant. Quant à Jared Leto, il peine à incarner le charisme et l’éclat nécessaires pour donner vie à un hybride humain/vampire aux capacités surhumaines.

Une des rares lueurs d’espoir dans Morbius réside dans sa cadence rapide et sa propension à aborder minutieusement les points clés de l’intrigue, ce qui évite que le film ne sombre dans l’ennui pur et simple, tout en permettant une transition fluide entre les différents éléments. La première transformation vampirique et l’attaque qui s’ensuit s’avèrent également assez divertissantes à suivre. Néanmoins, le film semble pâtir dès sa scène d’ouverture d’une forme de maladie du sang. Peut-être qu’un sérum salvateur serait nécessaire pour concocter de meilleurs films.

Morbius de Daniel Espinosa, 1h45, avec  Jared Leto, Matt Smith, Adria Arjona – Au cinéma le 30 mars 2023

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