[CRITIQUE] Love Lies Bleeding – Poussée de Pecs, poussée de sang

Rose Glass n’aura pas attendu bien longtemps pour réaliser des films outre-Atlantique. Il faut dire que son premier long-métrage, Saint-Maud, avait fait du bruit en remportant quatre prix au festival de Gérardmer en 2020. Et tandis que Morfydd Clark, actrice de Maud, s’est vu confier le rôle principal de la série Prime, Le Seigneur des Anneaux, Glass a bénéficié de moyens plus importants et d’un joli casting pour son deuxième film. La Britannique reste dans un registre plutôt horrifique, mais cette fois-ci avec une histoire plus réaliste qui épouse la série B américaine. Love Lies Bleeding suivra les tribulations de Lou et Jackie, respectivement interprétées par Kristen Stewart et Katy O’Brian. Un soir, les deux jeunes femmes se rencontrent et naît alors un coup de foudre. Cette passion nouvelle va être confrontée à une spirale de violence dont elles devront se défaire.

Ici, rien de plus simple, tout est dans le titre. Rose Glass dépeint ce couple dans la campagne américaine, où la brutalité et les armes font partie du quotidien de personnages qui ont tous un secret à cacher. Comme dans son long-métrage précédent, la réalisatrice n’hésite pas à être crue dans ses effets. C’est gore et ça lorgne du côté du body horror. Cependant, cet aspect est rarement au premier plan de l’histoire, qui est avant tout centrée sur la relation intime de ses protagonistes. Les premières minutes sont impressionnantes. Glass nous immerge immédiatement dans l’atmosphère particulière de son film, et la présentation de ses personnages est d’une grande efficacité. Lou (Stewart), gérant sa salle de sport, cigarette à la bouche, est tout de suite saisie par l’arrivée de Jackie. Une vingtaine de mètres les séparent, pourtant elle ne voit que ce corps qui la fascine. Et il ne faudra pas attendre longtemps pour voir Jackie en action et remettre immédiatement en question les stéréotypes de la virilité masculine, l’un des sujets principaux du film.

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Mais paradoxalement, la vision du corps de Jackie peut parfois paraître assez dérangeante. Cela se ressent particulièrement dans certaines scènes où la jeune femme prend des stéroïdes sous l’initiative de Lou. Leurs effets sont traduits à la caméra par des gros plans sur les muscles, introduisant ainsi un motif récurrent du body horror. Quelque chose semble vivre et se mouvoir sous sa peau, comme si une bête était prête à surgir de son être. Le personnage d’O’Bryan est une bodybuildeuse et est la principale source des scènes questionnant le corps et ses transformations. Si Glass paraît fascinée par son personnage, l’inscrire dans ce registre peut parfois créer le sentiment de réduire Jackie à une créature et à un corps en mutation, elle qui ne fait que son métier. Le ton est assez mal géré, mais hormis ces quelques scènes qui peuvent déranger, on sent tout l’intérêt et l’amour que la réalisatrice porte à ses personnages. Il faut dire qu’on prend plaisir à les voir évoluer dans ce lieu, car le casting est excellent. Stewart et O’Brian sont bien accompagnées par Ed Harris, Dave Franco et Jena Malone. Cette galerie de personnages atypiques pourrait parfois nous faire croire que l’on se retrouve devant une oeuvre des frères Coen. Il est d’ailleurs assez amusant de constater qu’en cette année 2024, Glass propose son Love Lies Bleeding quelques mois après la sortie de Drive-Away Dolls.

Deux films avec des similarités, mettant en scène un couple lesbien qui va se retrouver dans une histoire dépassant largement leur relation et où se croiseront quantité de personnages. Mais là où Coen n’arrivait pas à créer un univers pertinent autour de ses protagonistes, c’est tout le contraire de Glass. Elle réussit à structurer son récit autour de personnages dont on ne sait rien. Et plus les secrets se dévoilent, plus le scénario se dynamise pour atteindre un point culminant qui ne laissera personne indifférent. Au cours du récit, on peut voir comment Jackie est en quelque sorte prédestinée à ce destin, car elle est déjà liée à Lou avant même de la connaître. Dès le début, elle se fait embaucher par le père de Lou, puis couche avec son beau-frère. Une sorte de coup du sort pas si anodin dans un endroit éloigné des grandes villes, où les mêmes personnages et les mêmes familles errent continuellement dans ce désert. Ces actions anodines sont pourtant le moteur d’un scénario qui n’est pas surprenant mais, il faut le dire, très bien amené. Un dernier point que l’on peut attribuer au cinéma des Coen et que l’on retrouve ici est l’utilisation de la violence.

Si elle est toujours un ressort dramatique, plusieurs scènes ont un certain ton comique. On le décèle particulièrement vers le climax qui se débride en même temps que ses personnages. Dans une œuvre qui ne ménage pas ses effets sanglants, le passage où Stewart doit cacher un corps face à des agents du FBI qui débarquent chez elle pour une tout autre raison devient une grande scène absurde que n’auraient pas reniée les deux frères. Nonobstant ce motif classique du personnage qui fait tout pour cacher l’évidence, la réalisatrice parvient à instaurer une tension palpable grâce à notre empathie – sans doute due autant à son talent qu’à celui de ses brillants interprètes.

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Sur des chemins plutôt balisés, Rose Glass dresse pourtant une relation complexe entre deux femmes qui viennent à peine de se connaître. Malgré l’amour évident entre elles, des secrets persistent et des non-dits planent. De plus, bien que Jackie soit culturiste, nous ne sommes pas confrontés à une relation dominante-dominée, comme on pourrait s’y attendre dans ce contexte. Chacune d’elles a des arguments contre l’autre, rendant leur relation d’autant plus palpable et plaisante à suivre. Love Lies Bleeding sera finalement la manière dont deux femmes vont défier la virilité d’hommes proprement immondes. En parallèle de ce défi, Lou et Jackie vont apprendre à se connaître et à se découvrir, les menant à un final où la virilité masculine sera détruite et où les deux femmes seront d’autant plus unies. Kristen Stewart incarne l’un de ses meilleurs rôles, tandis qu’Ed Harris nous rappelle à quel point il est excellent, et Katy O’Brian, promise à un bel avenir, nous font aisément oublier les quelques maladresses et le rythme parfois haché. Nous sommes en présence d’une série B féministe qui n’a pas peur de tacher sa pellicule de sang. Bien que le film ne soit pas aussi surprenant que Saint Maud, il semble être bien plus maîtrisé. Ce qui est sûr, c’est que Rose Glass sera une personnalité à suivre dans les prochaines années.

Et pour ceux qui ont gâché la projection du film au BIFFF, on vous déteste.

Love Lies Bleeding de Rose Glass, 1h44, avec Kristen Stewart, Katy O’Brian, Ed Harris, Jena Malone, Dave Franco – Au cinéma le 12 juin 2024

7/10
Note de l'équipe
  • Alexeï Paire
    7/10 Bien
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