Dire que sa première saison fit figure de petit miracle est un euphémisme. Troisième série produite par Marvel Studios à atterrir sur Disney+, Loki redressait la barre d’une franchise paumée après les événements d’Avengers : Endgame en déclinant, sur six épisodes, les intrigues du dieu de la malice à travers le multivers. Ressuscité grâce à une jolie entourloupe, le demi-frère de Thor se retrouvait à dialoguer avec lui-même, la métaphysique de Rick et Morty, l’humour de Starsky et Hutch, le décorum de Brazil et tout un florilège d’inspirations baroques dans une odyssée réfléchissant la condition des super-héros (et super-vilains). Celle du protagoniste éponyme, la série télévisée a pris ses dispositions pour s’en rapprocher au maximum et incarner, comme lui, une irrégularité dans le monde surchargé des (désormais ringards) Captain America, Ant-Man et autres divertissements en costume moulant. La suite a confirmé sa singularité de manière encore plus retentissante.
De ses projets d’univers parallèles et ponts dimensionnels, le studio de Kevin Feige n’a depuis tiré que récréation nostalgique (Spider-Man : No Way Home) et délire bien sage (Doctor Strange in the Multiverse of Madness), désintéressé par les réflexions ludiques mais sérieuses que la série s’était échinée à amonceler. Une bonne grosse perte de temps, en somme. Comme à l’époque, donc, les scénaristes de Loki ont pour mission de remettre un peu d’ordre dans un chaos généralisé, une tâche qu’ils projettent facilement sur leurs héros. Eux aussi font face au cirque provoqué par des bêtises multiverselles. Celui que Loki et ses complices défient est cependant un peu plus pressant : le continuum espace-temps s’effondre, la société chargée de le surveiller est débordée et le demi-asgardien erre aléatoirement dans le temps. Alors, le bruit des alarmes résonne fortement, au commencement de cette seconde saison. Les personnages s’affolent et courent à grandes enjambées, menacés par le néant et quelque chose de pire, Kang, le grand méchant appelé à remplacer Thanos dans l’imaginaire collectif.
Et il en faut peu à la série pour racheter les bévues de Quantumania, dernier opus en date à s’être occupé du nouvel antagoniste de la saga. Moins obnubilé par les lubies hollywoodiennes du moment que ses consœurs, moins parasité par les conventions techniques du streaming aussi, Loki tire profit de la largeur du cinémascope pour mettre en scène ses visions de science-fiction, tableaux incandescents et vertigineux dans lesquels les personnages confrontent leurs latitudes. Le show arbore à nouveau ses méditations sur le libre-arbitre et le destin, forcément bienvenues dans une franchise au fonctionnement programmatique, mais renouvelle ses méthodes. Si la première saison avait des allures de promenade science-fictionnelle, ponctuée de rencontres rigolotes avec des doubles (les fameux « variants »), la deuxième est comme recroquevillée sur elle-même, jouée en huis clos, compressée par l’urgence de son scénario. Les protagonistes y évoluent différemment, non plus happés par l’existence de jumeaux lointains mais par la responsabilité de veiller sur eux.
C’est un moyen de faire récupérer à Loki son rang de divinité, sous une forme moins malveillante et ostentatoire que par le passé, et d’appuyer le travail de parallélisme sous-jacent à la série. Celui qui visait la défaite des super-héros – et par conséquent de l’humanité – dans le Avengers originel se veut dorénavant garant du multivers. Et il n’est pas le seul. Cette saison fait de la place à toute l’équipe et recrute des participants, tel que Key Huy Quan, familier des délires spatio-temporels depuis Everything Everywhere All at Once et dont la bonhomie communicative sert les dynamiques de groupe. Le dieu du mensonge ne faisant plus cavalier seul, ses aventures en compagnie de l’agent Mobius (délicieux Owen Wilson) dérivent, elles, gentiment vers le buddy movie quand les deux lurons investiguent dans des réalités alternatives. En ce sens, Loki est sans aucun doute la meilleure suite dont Men in Black pouvait rêver, à cela près que les grimaces de Tom Hiddleston sont moins clownesques que celles de Will Smith. Ses yeux bleus portent le regard le plus bouleversant de son univers.
Loki, 2 saisons, 12 épisodes, 55 min, avec Tom Hiddleston, Owen Wilson, Sophia Di Martino – Sur Disney+