[CRITIQUE] Everything Everywhere All at Once – Hors de notre univers

Les MULTIVERSES suscitent actuellement un engouement sans précédent. Malgré que l’exploration des réalités infinies ait été abordée dans divers médias par le passé, il est indéniable que ce concept n’a jamais autant séduit le cinéma. En particulier, dans le domaine des super-héros, il représente un outil solide pour ramener à l’écran des acteurs emblématiques de franchises passées. Il est indéniablement gratifiant de retrouver des visages familiers, surtout en cette période de renaissance des récits transdimensionnels. Cependant, Everything Everywhere All at Once plonge véritablement dans l’essence même de cette théorie captivante, posant une question qui hante l’esprit de chacun dès qu’il évoque l’existence d’univers parallèles : si d’autres versions de moi existent, mènent-elles une existence meilleure que la mienne ? À partir de cette interrogation, les réalisateurs Daniel Kwan et Daniel Scheinert, connus sous le nom de Daniels, nous offrent un périple tentaculaire, attachant et profondément bouleversant.

La vie d’Evelyn Wang (incarnée par Michelle Yeoh) n’est guère enchanteresse. Les affres du fisc pèsent sur son établissement de blanchisserie automatique, son mariage avec Waymond (interprété par Ke Huy Quan) se détériore lentement, et sa relation avec sa fille, Joy (campée par Stephanie Hsu), est alourdie par les désaccords persistants d’Evelyn concernant la petite amie de Joy. Cependant, son existence sans cap se trouve brusquement chamboulée lorsque son mari lui révèle qu’elle doit préserver l’intégrité du multivers. Cela étant dit, ce n’est pas vraiment son mari, du moins pas la version de son propre univers. En effet, ce Waymond a fait le voyage depuis une réalité parallèle pour mettre en garde Evelyn contre l’existence d’un seigneur de guerre interdimensionnel résolu à éradiquer le multivers tout entier. Cette situation incite Evelyn à emprunter les compétences de multiples versions d’elle-même pour se préparer à la bataille. Néanmoins, ce faisant, elle se trouve contrainte de contempler les innombrables vies qu’elle aurait pu mener.

Everything Everywhere All at Once se révèle être une œuvre visionnaire époustouflante, finement réglée comme un instrument de musique précieux. Les Daniels ne manquent pas d’idées audacieuses, et voir toutes ces idées s’entrelacer donne souvent l’impression d’une montée d’adrénaline cinématographique pure. Aucune idée n’est écartée, aucune n’est trop excentrique ou trop sécurisée. Ce qui permet à cette profusion d’idées de fonctionner sans tomber dans la surcharge sensorielle, c’est la prouesse technique manifeste présente dans chaque image. La décadence totale du film s’épanouit grâce à la passion et à l’adresse de ses réalisateurs. Le film démontre une compréhension brillante du temps et de l’espace, et l’ingéniosité dont il fait preuve dans ses chorégraphies de combat, ses visuels, son montage, ses palettes de couleurs et son éclairage sublime sert remarquablement l’intrigue. Dans un paysage cinématographique où les visions novatrices sont parfois étouffées, il est extrêmement rafraîchissant de voir un film doté de grandes idées livrées avec une telle maîtrise.

En plus de son style et de son humour, l’œuvre parvient à doser habilement une gamme d’émotions et de tonalités variées. Le film est hilarant, visuellement frappant et, peut-être encore plus remarquable, il touche profondément. Plonger dans le multivers s’accompagne inévitablement d’une dimension existentialiste, une réflexion sur la pertinence de notre propre existence qui devient criante lorsque l’on réalise que nous ne sommes qu’une version de nous-mêmes parmi une multitude infinie d’univers. Néanmoins, au lieu de sombrer dans la mélancolie qui peut accompagner cette réalisation,

Les Daniels font preuve de sagesse en utilisant le concept du multivers pour explorer une notion plus universelle. Ils sondent les perturbations inhérentes à notre propre identité et aux vies que nous menons. Bien que les choses ne soient pas nécessairement idylliques, les petites joies présentes dans notre existence lui confèrent une valeur inestimable. Le film maîtrise parfaitement la tonalité, enrichissant ainsi l’expérience globale. En ce qui concerne la distribution des rôles, les performances sont également remarquables, et elles se doivent de l’être. Everything Everywhere All at Once présente un défi unique pour tout acteur : incarner plusieurs versions d’un même personnage, une tâche particulièrement exigeante pour le trio principal composé de Michelle Yeoh, Ke Huy Quan et Stephanie Hsu, qui doivent non seulement forger une unité familiale convaincante, mais aussi se fragmenter en différentes versions d’eux-mêmes. Fort heureusement, ces trois acteurs se montrent plus que capables de relever ce défi. Quan et Hsu jonglent habilement entre les différents aspects de leurs personnages, passant de l’innocence à la détermination avec une aisance déconcertante. Michelle Yeoh, en première ligne, délivre une performance exceptionnelle. Le film met astucieusement en valeur ses compétences en arts martiaux, tout en lui permettant d’explorer les moments empreints de profondeur avec une grâce saisissante. Le film s’intéresse profondément à ses personnages, et les trois protagonistes centraux parviennent tous à susciter une grande empathie, malgré la complexité de leurs rôles respectifs.

Aussi brillant soit-il, le film peut par moments souffrir d’un excès de richesse. Il est étonnant qu’Everything Everywhere All at Once ne s’effondre pas sous le poids de sa propre ambition, bien que cette ambition ne se traduise pas toujours de manière fluide à l’écran. Le passage entre les mondes et les tonalités variées peut s’avérer parfois déconcertant, entraînant des moments moins réussis qu’espéré. La longueur du film pose également un défi, la liberté accordée aux réalisateurs entraînant parfois une prolifération excessive de conclusions. De plus, cette quête d’ambition se reflète également dans l’humour du film, oscillant entre l’intelligence subtile et la puérilité. Dans l’ensemble, ces petits inconvénients n’enlèvent rien à la réalisation remarquable qui se dévoile sous nos yeux, mais ils l’empêchent d’atteindre la perfection.

Everything Everywhere All at Once aurait pu sombrer dans le chaos entre des mains moins habiles. Le fait que nous puissions jouir de cette œuvre inventive, frénétique et résolument unique est une source de joie incommensurable. Les Daniels ont libéré une vision merveilleuse sur les écrans de cinéma, regorgeant d’idées et d’émotions sincères. À une époque où les blockbusters standardisés dominent souvent le paysage cinématographique, le long-métrage se dresse comme une éclatante source d’originalité. Préparez-vous à une expérience cinématographique débordante, car cette folie vous enveloppera irrémédiablement.

Everything Everywhere All at Once de Daniel Scheinert et Daniel Kwan, 2h19, avec Michelle Yeoh, Ke Huy Quan, Jamie Lee Curtis – Au cinéma le 31 août 2022.

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