[CRITIQUE] Le Sommet des Dieux – La mélancolie de l’alpinisme

Le genre en plein essor des films d’escalade pourrait bien connaître sa première grande entrée dans le monde de l’animation avec Le Sommet des Dieux, une adaptation française de la série manga du même nom de Jiro Taniguchi et Baku Yumemakura. Réalisé par Patrick Imbert, il mêle une histoire contemporaine à l’ascension historique de George Mallory, qui est mort en 1924 en tentant d’atteindre le sommet du mont Everest. Dans les années 1990, Makoto Fukamachi (interprété par Damien Boisseau), un photojournaliste, recherche un alpiniste renommé mais insaisissable, Habu Joji (Eric Herson-Macarel). Lors de leur première rencontre, Joji prétend avoir retrouvé l’appareil photo de Mallory, disparu depuis longtemps. C’est une découverte presque inestimable, qui pourrait être la clé d’un mystère vieux de plusieurs décennies : Mallory est-il vraiment parvenu au sommet ? À la poursuite de l’appareil photo, Fukamachi retrouve Joji dans les collines de l’Everest, où il se prépare à une dangereuse ascension hivernale en solo de la paroi qui a coûté la vie à un rival quelques années auparavant.

La première moitié du film retrace principalement la carrière de Joji, de son rôle dans une terrible tragédie qui tue un jeune partenaire d’escalade à une expérience poignante de mort imminente, seul dans les Alpes. Mais contrairement à de nombreux autres films d’alpinisme, Le Sommet des Dieux adopte une approche plus mélancolique de cette activité. Fukamachi observe la compulsion incessante de Joji à continuer à grimper avec quelque chose de plus proche de la pitié que de l’exaltation, comme il le fait remarquer, il y a toujours la volonté d’aller encore plus haut, ou de modifier des voies déjà difficiles pour les rendre encore plus pénibles. “En fait, ça ne s’arrête jamais“, dit Fukamachi avec une pointe de tristesse.

Ce qui amène les deux hommes à l’Everest, où Joji tente d’atteindre le sommet (sans oxygène) tandis que Fukamachi le suit pour une mission. Ils se mettent d’accord sur le fait que, puisqu’il s’agit d’une ascension en solitaire, il n’y aura pas d’intervention en cas de besoin. Avec cette règle à l’esprit, le dernier tiers du film passe de l’étude des personnages au thriller, tandis que les hommes affrontent les intempéries à la conquête du sommet. Dans une scène, Fukachami s’évanouit par manque d’oxygène alors qu’une énorme tempête se déchaîne. Accroché à la paroi de la montagne par deux piolets et un piton, l’écran alterne entre des flaques de sang rouge et des éclairs alors qu’il perd ses fonctions motrices, puis sa conscience, il s’agit autant d’une représentation visuelle de la diminution de l’oxygène que d’une métaphore de la nature dévorante de la quête des deux hommes. Joji a parcouru la voie de l’Everest pendant huit ans, abandonnant complètement la société pour le faire. Et Fukumachi, sans aucun doute le moins bon alpiniste, ne serait pas là du tout s’il n’était pas aussi déterminé à résoudre le mystère de la mort de Mallory.

Lorsque Fukamachi suggère d’utiliser la caméra pour déterminer si Mallory a atteint le sommet, Joji rejette la question : “Quelle est la différence ?” Ce sentiment sans appel s’applique à l’alpinisme en général : quelle importance de savoir qui a atteint quel sommet, quand, avec ou sans tel ou tel équipement ? Les montagnes sont parfaitement indifférentes, seuls les humains leur donnent un sens. Après la tempête, les hommes se séparent : Fukamachi retourne sur ses pas vers la sécurité, tandis que Joji poursuit son chemin. La relation entre ces deux hommes tranquilles et obsessionnels reflète le cœur émotionnel du film, à tel point que lorsque Fukamachi finit par acquérir la caméra de Mallory, cela ressemble plus à une réflexion après coup qu’à un aboutissement.

Grâce à la récente vague de films d’escalade, le public sait généralement à quoi s’attendre sur le plan visuel : des parois abruptes et des panoramas à couper le souffle, souvent capturés par drone, qui donnent des sueurs froides, des mains moites et des moments de stupeur. Si Le Sommet des Dieux n’a malheureusement pas eu de sorti en IMAX, son support lui a permis d’être ce que les films d’escalade ne sont généralement pas : poétique. Dans une scène, le temps qui passe est indiqué par la douce accumulation de neige sur un sanctuaire de montagne népalais, un concept qui parvient à transmettre le chagrin et le désespoir sans l’aide de dialogues. Les scènes d’escalade sont souvent assez calmes pour se concentrer sur le craquement des crampons et des haches, la respiration lourde soulignant la proximité du danger pour les personnages. L’absence de bavardage est rafraîchissante et les acteurs sont suffisamment peu nombreux pour que le film, malgré toute sa majesté, soit étonnamment intime. Le Sommet des Dieux pose peut-être les grandes questions, mais il donne à ses spectateurs tout l’espace nécessaire pour réfléchir aux réponses par eux-mêmes.

Le Sommet des Dieux de Patrick Imbert, 1h35, avec Lazare Herson-Macarel, Eric Herson-Macarel, Damien Boisseau – Au cinéma le 22 septembre 2023

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