[CRITIQUE] Le Consentement – La nécessité fondamentale d’une permission éclairée

En l’an 2020, l’admirable Vanessa Springora offrit à la lumière de l’opinion son récit autobiographique intitulé Le Consentement, récit des plus poignants, relatant la persévérante emprise qu’exerça l’écrivain Gabriel Matzneff sur son être, alors en sa treizième année d’innocence adolescente. Son opus résonnait tel un cri du cœur, un implacable réquisitoire contre les méfaits de nature sexuelle perpétrés par Matzneff. Toutefois, il allait au-delà, constituant une cinglante dénonciation de la société qui, pendant des décennies, préféra détourner son regard. La fulgurance de cette révélation fut accentuée par le mouvement MeToo, et elle aboutit même à une modification de la législation sur l’âge de la majorité sexuelle en France. Le génie de Vanessa Filho transparaît dans son habile réalisation, faisant de cette adaptation une puissante extension du réquisitoire initial, apportant de nouveaux éléments à la réflexion.

L’une des vertus majeures de cette œuvre réside dans sa fidélité à l’essence du récit de Vanessa Springora. Vanessa Filho réussit, avec une éclatante maestria, à retranscrire sur la pellicule la relation abusive exposée dans le livre. Cette fidélité se manifeste de manière saisissante dans l’incarnation du personnage de Gabriel Matzneff, interprété de manière magistrale par Jean-Paul Rouve. Sa prestation remarquable donne vie à ce manipulateur égocentrique, tout en résonnant en harmonie parfaite avec la description de Matzneff tracée par Springora. La mise en scène, évitant toute dérive voyeuriste, préserve l’intégrité du récit de l’auteure tout en révélant crûment les méfaits accomplis. Au moment où Vanessa Springora se dévoila dans les médias pour évoquer son récit, elle portait déjà quarante-huit années sur ses épaules, une image digne et sereine d’innocence triomphante face à l’adversité. Elle incarnait la majesté de la dignité tout en suscitant le respect. Le rôle des adultes, en particulier celui de sa mère interprétée de façon éblouissante par Laetitia Casta, dans ce drame fut également mis en exergue. Les images d’archives rappelèrent la complicité de la société de cette époque et de l’intelligentsia intellectuelle, tout en soulignant le courage de Denise Bombardier, l’unique à avoir publiquement dénoncé Matzneff en 1990.

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Le Consentement illustre de manière éloquente la puissance des mots dans l’emprise psychologique. L’utilisation judicieuse de la voix-off de Matzneff, déclamant des paroles glaçantes extraites de ses correspondances et écrits, révèle comment les mots constituèrent l’arme de manipulation prédominante utilisée par l’écrivain. La discordance entre l’adoration publique et la cruauté des actes se révèle saisissante, quand on considère que ces paroles furent prononcées en public, sans susciter la moindre réaction négative. Il soulève douloureusement la question du consentement à un si tendre âge, illustrée par la scène où la jeune Vanessa, encore une enfant, se trouve ensorcelée par l’intelligence et le charme de Matzneff. Malgré ses perceptions d’une anomalie dans leur relation, elle demeure abandonnée à son sort, délaissée par sa mère, admirablement incarnée par Laetitia Casta. Cette situation met en lumière la vulnérabilité de l’adolescente face à un adulte manipulateur, remettant en question les fondements mêmes de la notion de consentement.

Le long-métrage se révèle principalement être une opportunité pour Vanessa Filho de conférer au cas de Gabriel Matzneff une dimension intemporelle, susceptible d’éveiller l’identification quotidienne. À travers cette mise en scène de l’horreur et la recherche d’un trouble cinématographique extrême, la réalisatrice interpelle à la fois l’individu pédophile et, plus significativement, ceux qui gravitent autour, qui sont au courant de ces méfaits, et qui, à leur grand dam, gardent le silence voire le soutiennent. Un parallèle peut être dressé avec des personnalités telles que Fanny Ardant, qui défend ardemment des individus tels que Roman Polanski sans la moindre réserve. Il en va de même pour une portion conséquente du monde du cinéma, qui ferme les yeux dès qu’une nouvelle accusation à l’encontre de Gérard Depardieu surgit, alors que les rumeurs concernant ses agissements ne datent pas d’hier. Il convient avant tout de souligner que ce film vise à choquer ceux qui choisissent le mutisme, et en cela, il s’acquitte de sa mission de manière exemplaire. Denise Bombardier insistait sur la pression que subirent ceux osant lever la voix. Cela rappelle la complaisance qui sévissait au sein de la sphère littéraire et la protection dont Matzneff bénéficiait de la part de ses pairs, permettant la persistance de ses abus.

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Sans oublier qu’il se penche sur la question ardue de la représentation des abus, cherchant à éviter la crudité et le voyeurisme. L’ingéniosité des subterfuges visuels, tels que des images floues ou des reflets dans des miroirs, afin de ne pas exposer la nudité de Vanessa, se révèle d’une grande subtilité. Néanmoins, des failles de cohérence ponctuelles dans la mise en scène dévoilent brusquement le corps de la jeune fille, soulignant ainsi les défis délicats liés à la représentation de sujets aussi sensibles. Kim Higelin incarne avec une délicate justesse la vulnérabilité et la complexité du personnage de Vanessa, tandis que Jean-Paul Rouve, dans le rôle de Matzneff, dévoile à la perfection l’astuce et l’horreur de ce personnage. Cette éblouissante synergie des acteurs renforce la crédibilité du film et en intensifie l’impact émotionnel.

Là où la réalisatrice apporte une dimension complémentaire au récit réside dans son montage et la composition de ses plans. À maintes reprises, elle organise la narration de manière à nous immerger dans le tumulte psychologique de la jeune fille. Le découpage du film évoque presque une œuvre d’horreur, dépeignant Matzneff comme une créature monstrueuse, une sorte d’ogre déterminé à s’abreuver de l’essence même de son innocence. L’impact de ces images est d’autant plus saisissant lorsque l’on découvre l’adulte qu’est Vanessa Springora, interprétée avec brio par Élodie Bouchez, toujours hantée par son passé, constamment tourmentée par Matzneff à travers divers moyens de communication. Bien que cette séquence soit relativement courte par rapport à la durée totale du film, elle illustre de manière poignante l’effet à long terme de tels actes sur la victime. Tout cela culmine dans une scène mondaine déconcertante où les principes moraux et les traumatismes du passé viennent défier la victime, l’assaillissant par une question aussi simple qu’atroce : “Et toi, Vanessa, qu’en penses-tu ?” Cette simple interrogation, à trois minutes du générique, résonne comme une conclusion irréfutable.

Le Consentement de Vanessa Filho, 1h58, avec Jean-Paul Rouve, Kim Higelin, Laetitia Casta – Au cinéma le 11 octobre 2023

8/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    9/10 Exceptionnel
  • Vincent Pelisse
    7/10 Bien
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