[CRITIQUE] Le Bal des folles – Le combat des femmes

Mélanie Laurent est certainement l’une des réalisatrices les plus polyvalentes et discrètes du cinéma actuel. Bien qu’elle soit indéniablement connue pour sa performance dans Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, elle a également réalisé cinq films au cours de la dernière décennie, dont Respire et Galveston, et son sixième est sans doute le plus ambitieux. Adapté du roman Le Bal des folles de Victoria Mas (2019), Le Bal des folles se déroule dans le Paris de 1885, où une jeune femme, Eugénie Cléry (Lou de Laâge), se retrouve à rencontrer les esprits apparents des morts, ce qui amène sa famille à la faire interner à l’asile de la Pitié-Salpêtrière.

Là, sous les “soins” du professeur Jean-Martin Charcot (Grégoire Bonnet), Eugénie et les autres femmes de l’asile sont dédaigneusement diagnostiquées comme souffrant d’affections douteuses telles que l’hystérie, avant d’être soumises à des thérapies expérimentales qui s’apparentent davantage à de la torture, sans aucun modèle de réussite avéré. Eugénie ne tarde pas à croiser le chemin de Geneviève (Laurent), une des infirmières de l’établissement qui s’intéresse particulièrement aux apparentes capacités surnaturelles d’Eugénie. Les différents fils narratifs convergent finalement vers le bal intitulé, où les patients de l’asile sont habillés pour une danse annuelle avec les hommes aisés et souvent vénérés de la haute société. Alors que ses premières phases pourraient suggérer un drame d’époque calme, léger et aérien sur la misogynie institutionnelle, le film de Laurent s’avère bien plus glissant que cela. Sa lenteur initiale et son engagement ambigu envers la nature peut-être surnaturelle de l’état d’Eugénie entraînent le public dans une histoire qui devient progressivement plus horrifiante et intense, examinant les fantômes du passé au sens figuré et peut-être au sens propre.

Mais c’est en détaillant les moyens indéniablement tangibles par lesquels les hommes cherchent à contrôler les femmes que le film de Laurent est le plus fort, depuis les réprimandes les plus “subtiles”, leur dire de se tenir droites, de se taire, d’être jolies, de ne pas faire d’histoires ou, peut-être le pire de tout, de se “calmer”, jusqu’aux moyens de pacification plus extérieurs, à savoir les institutionnaliser et les droguer au laudanum. De toute évidence, la société de l’époque préfère jeter toute femme présentant un comportement “anormal” dans un vieux bâtiment plein de courants d’air pour qu’elle pourrisse plutôt que de traiter ses problèmes de manière humaine, si tant est qu’il s’agisse de problèmes. Dans ce cas, on leur attribue en grande partie le diagnostic fourre-tout paresseux d'”hystérie” et on les fait défiler devant des hommes en costume pour qu’ils exposent leurs problèmes comme des attractions de cirque. Laurent, de manière admirable, ne prend pas de pincettes dans son compte-rendu objectif des abus systémiques. Eugénie et ses codétenues sont contraintes d’endurer une myriade de tortures horribles, par exemple, l'”hydrothérapie”, où les femmes sont laissées à tremper nues dans une baignoire remplie d’eau glacée dans le but de les traumatiser et de les inciter au calme.

Bien que le scénario n’ait pas beaucoup de temps pour la subtilité, ce qui se traduit par des dialogues parfois un peu rapides, il y a une nuance impressionnante dans sa description générale de la période. Tous les hommes du film ne sont pas des méchants caricaturaux : Théophile, le frère d’Eugénie (Benjamin Voisin), croyait sincèrement qu’il faisait ce qu’il fallait pour sa sœur en l’envoyant à l’asile, et les infirmières de l’asile, en particulier la troublante Jeanne (Emmanuelle Bercot), sont également capables de comportements monstrueux. Laurent demande beaucoup à ses acteurs, y compris à elle-même, et ils se montrent tous à la hauteur. Dans le rôle d’Eugénie, Lou de Laâge est une image imposante de rage vertueuse contre l’adversité, aidée par l’ensemble fascinant et distinct de femmes incarcérées à ses côtés. On peut certes arguer d’une focalisation un peu excessive sur l’infirmière de Laurent, notamment dans la partie médiane du film, plus fade, mais l’actrice offre une représentation adéquate et à multiples facettes d’une femme sympathique pour ceux dont elle s’occupe, mais aussi un instrument indéniable d’une hiérarchie abusive.

Il s’agit d’un film solidement mis en scène qui prend la décision probablement intelligente de ne pas rompre avec une réalité clairement définie. La photographie majestueuse de Nicolas Karakatsanis est complétée par la partition à cordes du compositeur Asaf Avidan, qui fournit une composition solide pour le drame malaisé à l’écran, bien que les motifs de piano les plus génériques soient un peu banals. Le Bal des folles est un film qui veut vous faire comprendre les fautes de notre passé collectif et reconnaître leur héritage dans le monde moderne, étant donné que la misogynie n’a pas disparu. L’épuisant drame d’époque de Mélanie Laurent dépeint avec force les moyens systémiques par lesquels la société a historiquement déresponsabilisé et maltraité les femmes, et dont beaucoup se poursuivent sans relâche aujourd’hui.

Le Bal des Folles de Mélanie Laurent, 2h02, avec Mélanie Laurent, Lou de Laâge, César Domboy – Sur Prime Vidéo

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