[CRITIQUE] L’Affaire de la Mutinerie caine – des hommes pas trop en colère

Le 7 août 2023, William Friedkin nous quittait tandis que deux semaines avant, nous apprenions la venue à la Biennale de son nouveau film, douze ans après Killer Joe. Si nous n’imaginions pas revoir un film du réalisateur de L’Exorciste, il était encore moins imaginable de lire l’annonce de sa mort quelques jours plus tard, tant sa figure faisait partie du quotidien des gens s’intéressant au cinéma.

Que ce soit pour traiter Nicolas Winding Refn de malade ou pour être mentionné sur une affiche d’un thriller très moyen en disant que c’est le meilleur de sa décennie, Friedkin ne semblait jamais s’estomper, quand bien même on ne trouvait plus son nom aux crédits des films sortant en salles.

Mais aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence, ce cinéaste fou, turbulent et peu facile à vivre sur les plateaux de tournage n’est plus. Et parmi les Exorciste : Dévotion et autres Salaire de la Peur made-in Netflix, Friedkin nous laisse avec une dernière proposition, en adaptant Ouragan sur le Caine de Herman Wouk, déjà adapté par Edward Dmytryk en 1954. Si le film avec Bogart s’attardait sur l’événement, puis le procès du lieutenant, le film de 2024 ne met en scène que le procès.

Copyright Paramount Pictures

Ce n’est pas la première fois que Friedkin s’exerce au huis clos. On peut mentionner dans son début de carrière le surprenant Garçon de la Bande, mais surtout son téléfilm Douze Hommes en Colère, réadaptation de la pièce de théâtre, quarante ans après le film de Sidney Lumet. Mais s’il a déjà prouvé sa maîtrise pour diriger ce type de film, cette Affaire de la Mutinerie Caine se révèle être une réelle déception.

Dommage de partir ainsi, mais ce qui nous frappe bien malheureusement, c’est que pendant près de deux heures, le réalisateur ne dresse aucun réel enjeu, si ce n’est ceux factuellement exposés : quels sont les acteurs et quel impact le procès peut-il avoir sur eux. Jamais Friedkin nous implique émotionnellement dans ce film. La comparaison avec Douze Hommes en Colère est difficilement évitable puisque certains sujets similaires font surface dans les deux films. Le téléfilm de 1997 trouvait sa force dans l’interprétation de ses personnages et dans leurs dialogues, transmettant l’importance et le poids de la décision qui pesait sur eux. Ici, quand bien même Kiefer Sutherland délivre une prestation intéressante, tout comme le personnage de Jason Clarke, le plus complexe du film, ils n’ont rien à tirer de ces dialogues qui ne font qu’exposer l’intrigue.

Si formellement le film ne fait pas rêver, c’est aussi parce que rien ne nous fait sortir de ce procès et de ce huis clos sans implication émotionnelle. Douze Hommes en Colère exposait plusieurs éléments ne faisant pas partie de l’intrigue, comme la chaleur que ressentent les jurés ou bien le fait que l’un d’eux doit assister à un match de base-ball à un horaire précis. Aucune ligne de L’Affaire de la Mutinerie Caine ne dérogera au procès, aucune ligne ne changera le ton de l’audience, qui se déroule d’une manière terriblement monotone. Les seuls changements de nuances se feront par l’intermédiaire de quelques très mauvais interprètes, venant casser, pendant une minute ou deux, la monotonie de l’ensemble.

Il y avait des choses intéressantes à exploiter et à mettre au cœur du drame qu’aurait pu être le film, comme l’impact que le procès peut avoir sur l’US Navy ou sur ce commandant. Mais si ces éléments sont factuellement cités, ils ne sont jamais incarnés par un quelconque sentiment. On pourrait dire de même pour la mise en scène, elle non plus jamais réellement incarnée : seulement quelques jeux de lumières par-ci par-là, sinon elle accompagne bêtement les différents témoins venant se présenter à la cour.

Copyright Paramount Pictures

Si le passif de Friedkin n’était pas connu, on aurait pu dire que L’Affaire de la Mutinerie Caine a tout d’un téléfilm. Pourtant, le cinéaste nous a déjà montré ce qu’il pouvait tirer de ce type de média et d’une histoire de procès, en donnant à Jack Lemmon et George C. Scott leur dernier grand rôle. Non, on dira simplement du dernier travail de William Friedkin qu’il est trop peu intéressant. Il n’est pas raté ; formellement, il est plutôt honnête, mais on pouvait espérer plus de la part d’un réalisateur qui a compté, pendant un temps, parmi les plus importants de son époque. On constatera avec tristesse que toute la dimension dramatique du film arrive avec la toute dernière scène qui nous expose les enjeux sous-jacents qui auraient rendu le film bien plus intéressant.

On se consolera en revoyant les grands films de William Friedkin, un réalisateur qui enchaîna en six ans trois des plus grands films américains jamais réalisés, French Connection, L’Exorciste et Le Convoi de la Peur. Un réalisateur qui dirigea aussi deux grands films néo-noirs avec Police Fédérale Los Angeles et Killer Joe. Mais il ne faudrait pas se limiter à ces films, la carrière de Friedkin étant peuplée de films moins connus mais assez admirables, comme L’Anniversaire, Les Garçons de la Bande ou Blue Chips.

David Gordon Green n’est plus le réalisateur des suites de L’Exorciste : Dévotion, bien joué Bill pour la hantise.

L’Affaire de la Mutinerie Caine de William Friedkin, 1h48, avec Kiefer Sutherland, Jason Clarke, Jake Lacy, Monica Raymund – Sur Paramount+ le 17 janvier 2024

5/10
Note de l'équipe
  • Alexeï Paire
    5/10 Mid (comme disent les jeunes)
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