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[CRITIQUE] Juste sous vos yeux – Une grande histoire humaine

La quantité impressionnante de longs métrages réalisés par Hong Sang-soo chaque année (bien qu’il n’ait réalisé son premier film qu’en 1996, Juste sous vos yeux est son 26e film) n’a jamais diminué le rendement dramatique ou l’intégrité filmique de chaque réalisation. Souvent tourné avec un petit budget et une certaine spontanéité, les autres signes distinctifs de Hong, à savoir les plans simples et statiques et les zooms lents, sont tous présents dans Juste sous vos yeux, un récit bref mais émotionnellement saisissant sur la vie de famille à Séoul. Le plus impressionnant, c’est que Hong canalise une énergie digne d’Ingmar Bergman. Juste sous vos yeux est trop léger pour se hisser au même niveau que le réalisateur suédois et ses premières parties sont moins convaincantes que les dernières, mais le film de Hong reste un exemple remarquable de simplicité imprégnée d’une surprenante profondeur émotionnelle.

L’ancienne actrice Sangok (Lee Hye-young) est de retour à Séoul après avoir vécu des années en Amérique et séjourne temporairement chez sa sœur Jeongok (Cho Yun-hee). Les sœurs partagent une seule matinée ensemble, prenant un café et des toasts dans un café idyllique, se promenant dans les parcs et visitant le restaurant du fils de Jeongok. Elles abordent des thèmes plus larges comme l’occidentalisation, tout en se concentrant sur des éléments tels que les problèmes familiaux et les regrets personnels, ou en les évitant. Le scénario de Hong est toujours aussi bon pour en dire autant avec des mots ou de simples réflexions passives, laissant toujours entrevoir des sentiments de frustration ou de ressentiment. Juste sous vos yeux patauge et serpente légèrement dans sa première moitié, ne trouvant un véritable élan narratif que lorsque Sangok rencontre un réalisateur de films, Jaewon (Kwon Hae-hyo), pour discuter d’un retour au métier d’acteur, mais ses thèmes sont impressionnants et immédiatement racontables.

© Jeonwonsa Film Co. Production

Comme c’est le cas pour la plupart des films de Hong Sang-soo, Juste sous vos yeux possède une authenticité brute, vécue et un rythme paisible. Vous pouvez sentir chaque bruissement de feuilles, chaque gorgée de café que les personnages prennent, même la pluie qui entoure deux personnages blottis sous un parapluie est tangible et ajoute une texture distincte au film. Le travail de caméra et la cinématographie de Hong sont frappants par leur simplicité et sont tout aussi efficaces pour évoquer une époque et un lieu spécifiques. Tout ce réalisme s’inscrit dans la logique de Juste sous vos yeux, qui met l’accent sur les choses les plus immédiates (celles qui se trouvent juste devant vous) qui sont les plus importantes, Juste sous vos yeux est empreint d’une introspection sévère mais magnifique. Sangok trouve la paix à son retour à Séoul, en visitant son ancienne maison et en renouant avec ses souvenirs d’enfance et son innocence, un moment particulièrement vivifiant la voit embrasser une jeune fille qui vit maintenant là, l’enfant agissant à la fois comme une représentation de l’enfance de Sangok et comme un conduit vers ses souvenirs. Une grande révélation plus tard dans le film renforce encore ces moments, faisant d’Juste sous vos yeux une œuvre cinématographique particulièrement émouvante. Nouvelle dans le cinéma de Hong, Lee apporte un merveilleux stoïcisme au rôle tout en l’imprégnant d’une vulnérabilité, amplifiée par chaque souvenir et réflexion qui la touche. Son personnage trouve la clarté plus tard dans sa vie, mais pas avant qu’il ne soit trop tard. Malgré son côté souvent mélancolique, Juste sous vos yeux est finalement un petit conte édifiant sur les liens humains et l’appréciation du monde en général.

© Jeonwonsa Film Co. Production

L’angle émotionnel du film ne s’élève jamais au plus haut niveau, mais Juste sous vos yeux est une preuve supplémentaire de l’impressionnante capacité de Hong à créer de grandes histoires humaines à partir de la simplicité quotidienne de la vie familiale – ainsi qu’une preuve de ses remarquables capacités cinématographiques, puisqu’il est ici à la fois réalisateur, scénariste, producteur, compositeur, monteur et directeur de la photographie.

Note : 3.5 sur 5.

Juste sous vos yeux au cinéma le 21 septembre 2022.