[CRITIQUE] Guermantes – Honorable Ambiguïté

Le film de troupe est (presque) un sous-genre, ce type de film où la caméra suit divers individus, tous différents, qui partagent un métier, une passion commune. Cela peut donner un long-métrage comme Climax de Gaspar Noé qui capte l’anéantissement d’une troupe de danse au travers d’une drogue dissimulée dans une boisson ou alors un long-métrage plus tendre qui va suivre une “véritable” troupe, ici La Comédie Française, dans ses dépourvues et ses instants de joie durant la crise du COVID. Guermantes, nouvel essai du réalisateur Christophe Honoré, va au plus près de son sujet, au point où l’œuvre sous ses allures de documentaire n’utilise que très rarement les codes du genre. 

En plein déconfinement français, à l’été 2020, une troupe de théâtre (La Comédie Française) répète une pièce de Marcel Proust afin de la présenter au public lors de la prochaine réouverture des théâtres. Cependant, lorsque la deuxième vague de COVID surgit en France, le spectacle doit être annulé mais la troupe décide de continuer à jouer, sans public, pour le plaisir de rester ensemble. Avec sa caméra et son amitié pour ces acteurs qu’il a déjà fait jouer dans moulte de ses précédents films, Honoré va donc les côtoyer en compagnie de sa caméra durant ces plusieurs semaines de communions. Il est dans cette troupe, c’est pour cela que nous pouvons souvent le voir devant sa caméra, jouer un autre rôle : celui d’acteur. Cette décision, bien que compréhensible, donne à Guermantes une saveur particulière, le documentaire disparaît pour laisser place à une “simili” fiction qui n’en est pas vraiment une. L’ambiguïté se ressent à mesure que le long-métrage avance. Entre les acteurs qui jouent leurs répliques par Proust, La Comédie Française qui jouent pour Honoré et les humains qui vivent ensemble, le spectateur se posera constamment la même question : que suis-je en train de découvrir ?  

Une tradition chez les comédiens, tous les samedis soirs.

Toute la complexité de Guermantes surgit dès lors que certains passages d’une sincérité apparente réussissent à nous transporter et à nous faire croire que nous, spectateurs, participons à cette amitié/communion humaine. Ces moments de douceur se reflètent avec délicatesse dans un long métrage qui ne sait pas se retenir. Nous sommes attachés à ces acteurs que ce soit l’incroyable Laurent Lafitte (bon vivant, sérieux et qui a toujours le mot pour rire), Anne Kessler (attachante dans sa volonté de quitter le groupe), Sébastien Pouderoux, l’excellente Dominique Blanc, et tous les autres, parviennent à faire ressortir leurs personnalités sans en faire des caisses, avec une transparence et une authenticité parfaitement persuasive. On n’a jamais l’impression qu’ils savent qu’ils se font filmer, et c’est très agréable. D’autant plus que ces derniers révèlent une immense palette d’émotions allant du rire, parfois aux larmes, souvent en colère, toujours en contradiction avec leur métier : comédien. Ils redeviennent acteurs lorsqu’il faut jouer les textes de Proust, sauf que ces sauts d’expressions sont souvent incertains, la frontière entre le jeu et la réalité est souvent biaisée avec des acteurs de cette trempe. Nous nous demandons toujours si nous sommes dans la pièce ou si nous sommes en pleine discussion. Outre le fait que c’est troublant, c’est pertinent.

T’as écouté le dernier son de Carlos ?

Non-film et non documentaire, Honoré ne captivera pas la totalité du public à cause de son style et ses décisions de metteur en scène. Cependant, une certaine flamme subsiste lorsque la musique et la sincérité humaine transparaissent devant nos yeux. Guermantes ressemble à un vlog, un souvenir, un film taillé dans le marbre d’une troupe représentative de la culture française. Parfois dans la distance, souvent proche de ces acteurs, on se retrouve souvent devant des questions de confort de visionnage qui peuvent être agréables ou perturbants selon notre attachement au cinéma de Christophe Honoré, à cette troupe de La Comédie Française, au texte de Proust. “L’opinion que nous avons les uns des autres, les rapports d’amitié, de famille, n’ont rien de fixe qu’en apparence, mais sont aussi éternellement mobiles…”

Note : 2.5 sur 5.

Guermantes au cinéma le 29 septembre 2021.

0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *