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[CRITIQUE] Exogène – Au bord du gouffre (FEMA 2023)

« La terre, de plus en plus habitée, devient de plus en plus inhabitable. » Cette citation provient du film Le Diable Probablement, réalisé par Bresson en 1977. Pourtant, au cours des cinquante dernières années, rien n’a changé. L’industrie cinématographique s’efforce de réduire sa consommation d’énergie pour devenir plus responsable. Que ce soit à travers des œuvres de fiction ou des documentaires, le cinéma n’a pas encore réussi à provoquer un changement à grande échelle, mais il a un impact sur les individus. Nikolaus Geyrhalter, réalisateur d’Exogène, s’efforce dans ce nouveau documentaire de témoigner d’une situation au bord de la catastrophe. Nos déchets s’accumulent, soulevant ainsi une question inquiétante : ne nous tuent-ils pas à petit feu ?

Construit comme une course contre la montre pour mettre en évidence l’importance de la gestion adéquate de nos déchets, Exogène reprend les codes des blockbusters. Les plans larges et les multiples situations à travers le monde s’enchaînent en moins de deux heures. L’objectif est de mettre en lumière la dévastation humaine, qu’elle se manifeste dans les Alpes ou aux Maldives. Une séquence prévue à l’origine sur les déchets spatiaux aurait d’ailleurs prouvé une fois de plus que l’homme corrompt tout ce qu’il approche. Ce mélange de lieux et d’enjeux offre à Nikolaus Geyrhalter l’occasion de jouer continuellement avec notre perception des échelles. Les immenses machines traitant nos ordures, les montagnes de détritus en contraste avec la nature, ainsi que le travail minuscule des humains face à ces tâches de géants, tout est question de perspective chez ce cinéaste.

Dans Exogène, tout vise à démontrer les conséquences des actions humaines. Pourtant, les humains sont absents de la plupart des plans. Peu d’intervenants viennent sur-signifier ce que nous observons, et les dialogues se font également rares. Tel un antagoniste de film d’horreur, les humains sont à la fois omniprésents et invisibles, une performance que Nikolaus Geyrhalter réussit à doser parfaitement. L’objectif est bien sûr de se concentrer sur les conséquences plutôt que les causes, mais cela confère au documentaire un aspect bien plus intéressant. C’est la nature qui parle. Les environnements fournissent suffisamment d’informations, rarement optimistes d’ailleurs, et ils reprennent ainsi le contrôle de l’information. Dans cette volonté de se débarrasser de l’humain, il y a une sorte de présage funeste, mais c’est une fin logique, car Exogène nous montre un monde qui se meurt.

C’est quoi le cinéma de Nikolaus Geyrhalter ? Avec ses documentaires, le cinéaste s’est imposé comme le porte-parole de ces problèmes qui se déroulent sous nos yeux, mais que nous choisissons d’ignorer. En effaçant les témoignages et les voix pour se distancer du reportage, il laisse également place à l’interprétation. Ainsi, on peut se demander si Exogène est empreint d’espoir ou, au contraire, terriblement pessimiste. Depuis plusieurs films, Nikolaus Geyrhalter semble pencher vers un côté plus négatif. En effet, avec Notre pain quotidien, il souhaitait placer l’humain au centre de la narration et du cadre, mais depuis, il fait tout pour l’éloigner. C’est d’ailleurs pourquoi, dans Homo Sapiens, le réalisateur montre les traces laissées par l’humanité tout en l’excluant du cadre, et donc de sa réalité. Il reprend le même schéma ici, en réponse à sa question initiale. Les déchets ont étouffé l’humanité, du moins cinématographiquement, car ils nous ont remplacés.

Exogène de Nikolaus Geyrhalter, 1h45, documentaire – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma