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[CRITIQUE] Machtat – Traditions patriarcales (FEMA 2023)

Machtat est un documentaire tunisien écrit et réalisé par Sonia Ben Slama, une jeune cinéaste passée par l’Acid à Cannes, une section qui cherche à mettre en avant de jeunes talents. À travers ce long-métrage, elle souhaite mettre en lumière le quotidien des Machtat, des musiciennes traditionnelles spécialisées dans les mariages en Tunisie. Fatma et ses deux filles, Najeh et Waffeh, sont ainsi souvent au cœur de ces célébrations qui revêtent une grande importance dans la vie des gens. Cependant, elles ont chacune une vision différente de cette institution : l’aînée cherche désespérément à se remarier après un divorce, tandis que la cadette aspire justement à divorcer. Ce qui les relie, c’est le patriarcat autoritaire qui les pousse à chercher une échappatoire. Et c’est là que le documentaire devient captivant, car au-delà de l’exploration de la vie musicale, il constitue avant tout un plaidoyer pour l’indépendance des femmes tunisiennes.

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Le patriarcat est omniprésent dans Machtat, bien que les hommes eux-mêmes soient quasiment invisibles à l’écran. Pourtant, leur présence oppressante se fait constamment ressentir, comme une ombre planant sur les protagonistes. Ces femmes aspirent constamment à l’espoir et à la liberté, pourtant ces hommes sont omniprésents dans les choix cruciaux, en particulier ceux concernant les enfants. Machtat est un film tragique car il raconte l’histoire d’une quête de liberté au sein d’une société où cet espoir semble impossible. La mise en scène souligne cet aspect en multipliant les appels téléphoniques entre les maris et les épouses, illustrant ainsi un contrôle total même à distance. Il s’agit de femmes prises au piège de relations toxiques avec les hommes, parfois même ceux de leur propre famille, et qui, dans leur vie professionnelle, célèbrent les histoires d’amour d’autres Tunisiennes. C’est un terrible paradoxe qui semble ne pas avoir de solution, même pendant les mariages emblématiques que l’on observe tout au long du film.

Machtat s’articule constamment autour des mariages, qui permettent d’observer à la fois la vie professionnelle et personnelle des protagonistes. Ces cérémonies sont à la fois des occasions d’épanouissement et de liberté, notamment pour les musiciennes, mais elles symbolisent aussi une forte pression masculine. La plupart des mariages évoqués sont des unions arrangées avec des hommes bien plus âgés, souvent motivées par des raisons financières. Il s’agit simplement d’un moyen de fuir l’oppression masculine familiale pour se retrouver dans une autre forme de domination masculine : celle de l’époux. Le point culminant du film intervient d’ailleurs lors d’une cérémonie de mariage, où toutes les émotions se mêlent, qu’il s’agisse de la peur, de la joie, de la tristesse ou de la fierté. C’est un tourbillon d’émotions qui, accompagné de la musique constante, fait perdre la tête.

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La musique occupe une place centrale dans le film, et son rôle est extrêmement important pour ces Machtat. Les seules séquences où aucune référence à la musique n’est faite sont celles qui sont liées aux violences subies par les épouses. C’est un fait particulièrement intéressant qui indique aux spectateurs que ce métier de musicienne traditionnelle est un moyen de se sentir libre. On comprend ainsi pourquoi la musique est présente presque en permanence, au point où l’on en sort essoufflé et épuisé. Malgré tout, ce long-métrage offre une excellente opportunité d’observer les rituels musicaux lors des fêtes tunisiennes et de comprendre leur importance. On en prend conscience notamment lorsque l’on comprend que sans les Machtat, les mariages seraient annulés, ce qui crée une quasi-obligation de faire appel à ces musiciennes. Elles sont véritablement ancrées dans la tradition du mariage.

C’est quoi le cinéma selon Machtat ? La réalisatrice Sonia Ben Slama accomplit un tour de force avec ce documentaire. Il s’agit à la fois d’une dissection d’un savoir-faire traditionnel essentiel dans la société tunisienne et d’une critique du système patriarcal. Ces paradoxes et ces contradictions se retrouvent évidemment au cœur des mariages, qui sont à la fois des lieux de fête et des symboles d’oppression masculine. Ce film intense et important réussit à documenter la vie de ses sujets tout en en disant long sur le monde qui les entoure.

Machtat de Sonia Ben Slama, 1h22, documentaire – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma

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