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[RETOUR SUR] A Dark, Dark man – Espoir du cinéma Kazakh (FEMA 2023)

La rétrospective Adilkhan Yerzhanov au Festival de La Rochelle est l’occasion pour nous de revenir sur son long-métrage le plus doux-amer : A Dark, Dark Man. Ce thriller réalisé par le cinéaste kazakh le plus populaire de ces vingt dernières années est à la fois une comédie noire, un western crépusculaire et polar rendant hommage aux films noir. On y suit les pérégrinations d’un policier corrompu qui va devoir faire face à un tueur en série, à d’autres policiers, à la mafia, à une journaliste intègre et surtout face à sa conscience tourmentée. L’occasion pour le réalisateur de signer une œuvre sous tension constante, qui témoigne de la fragilité du système judiciaire et politique kazakh. Retour sur une enquête aussi comique que pessimiste.

© Arizona Distribution

Au cœur des steppes du Kazakhstan, Bezkat, interprété par Daniyar Alshinov, connait toutes les ficelles de son métier. Il a abandonné depuis longtemps l’idée de protéger la population, et reçoit des pots-de-vin depuis plusieurs années. A lui seul il représente tout un pays. Une région qui a abandonné l’idée d’un futur meilleur ou d’une paix stable depuis la chute de l’URSS. La corruption fragilise les infrastructures d’un pays, et noircit le cœur de ses habitants. Cette stagnation se ressent dans le destin des protagonistes, piégés dans un cycle de violence et de malheur, mais également dans la mise en scène de Yerzhanov. Il étire ses séquences et ses silences, parfois jusqu’à créer une forme de fragilité que la brutalité humaine vient briser, pour souligner la quasi-léthargie dont souffre les plaines kazakhes. Que ce soit l’enquête avançant lentement, la voiture de Bezkat ne démarrant plus ou les habitants incapables de quitter la région : tout semble au ralenti. A Dark, Dark man est le témoignage d’une société qui n’avance plus, rongée par la corruption et la violence.

Ce constat pessimiste sur le Kazakhstan, par l’un de ses ressortissants, devient pourtant de plus en plus lumineux au fil du long-métrage. Yerzhanov soigne sa photographie pour dessiner les contours magnifiques d’un pays à l’écart de la scène internationales. Les environnements urbains, donc humains, semblent crasseux et en ruines, tandis que les lieux naturels respirent au contraire la douceur et la beauté. On pense aux steppes verdoyantes bien sûr mais également aux monts enneigés, refuge de notre protagoniste. L’intervention humaine est synonyme de sang, de mort et de malheur partout où elle passe, tandis que les étendus désertiques permettent au contraire de retrouver la vie et une forme de bonheur.

© Arizona Distribution

Quel est le message de Yerzahnov sur son propre pays ? Chacune des séquences est à double-tranchant, à la fois violente et douce, pessimiste et radieuse, brutale et comique. Il se dégage de A Dark, Dark man une forme d’espoir. L’idée qu’une bonne action peut apporter le changement pour toute une communauté. La relation entre Bezkat, policier teigneux, et Ariana, journaliste déterminée, apporte au film une forme de lumière inespérée. Le comique s’insère dans le récit aux moments les plus surprenants tandis que le protagoniste principal commence à se remettre en question. Ce personnage-métaphore du Kazakhstan entame donc son cheminement pour incarner un meilleur exemple. Et rien ne semble pouvoir arrêter sa soif de rédemption, que ce soient les politiciens véreux ou les criminels sanglants sur son chemin. L’idée que la bonté est inarrêtable, voilà le discours délivré par Yerzhanov sur son propre pays.

C’est quoi le cinéma d’Adilkhan Yerzhanov avec A Dark, Dark man ? Le film se conclue sur une mort, qui est pourtant ressenti comme une renaissance. Cette volonté de faire ressortir le positif des pires situations, voilà qui est ce cinéaste. C’est d’ailleurs le rôle qu’il incarne à l’international, et notamment au festival de Cannes : celui du renouveau d’un cinéma kazakh immortel. Nous saluons le choix du festival de La Rochelle, de mettre à l’honneur ce réalisateur qui a tant œuvré pour témoigner d’un territoire extrêmement cinématographique. Lorsqu’une société contemporaine est à la fois extrêmement tragique et dans le même temps drôlement comique : il y a déjà tout pour faire exister un espace de cinéma. A Dark, Dark man est étonnamment luminieux et optimiste. Et nous le sommes tout autant pour la suite de la carrière d’Adilkhan Yerzhanov.

A Dark-Dark Man d’Adilkhan Yerzhanov, 1h50, avec Daniyar Alshinov, Dinara Baktybaeva, Teoman Khos – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma