[CRITIQUE] Compétition Officielle – Palme d’Or pour le nouveau Cohn-Duprat

On l’aura attendu ce Compétition Officielle, qui porte très bien sans nom pour une œuvre en compétition à la Mostra de Venise, au festival international du film de San Sebastian et même au festival du cinéma européen des Arcs 2021 (ou des petits chanceux ont donc pu le découvrir là-bas en avant-première). Il faut dire qu’avec son duo de réalisateur, Mariano Cohn et Gaston Duprat, des spécialistes d’un humour particulier qui consiste à faire s’étendre les scènes jusqu’à l’absurde, on avait hâte de voir leur nouvelle création. Le duo argentin, très en vogue actuellement, a l’habitude de caricaturer le milieu artistique, et donc eux-mêmes, avec autodérision. On avait pu l’observer en 2008 avec L’artiste puis en 2016 avec Citoyen d’Honneur, leur plus gros succès jusqu’à présent, alors encore une fois : on avait hâte de retrouver le duo pour cette nouvelle excursion méta, cette fois ci en territoire cinéphile. Pour faire bref, on n’a absolument pas été déçu, bien au contraire, Compétition Officielle est un film inventif et à vous faire hurler de rire. Il est maintenant tant de voir pourquoi ?

© 2022 – Wild Bunch Distribution

C’est quoi le pitch ? Un vieil homme immensément et obscènement riche (José Luis Gomez), parodie typique des Arnauld ou des Pinault, a envie de laisser une trace derrière lui. Là où ses confrères du monde réel choisissent de construire des fondations, des musées ou d’effectuer des donations, ce dernier va choisir de produire le « meilleur des films ». Pour cela il achète un roman très en vogue et ayant eu le prix Nobel, sans le lire, puis confie la réalisation a une cinéaste (Penelope Cruz) très arty qui enchaine les festivals et les films reconnus par la critique. Cette dernière choisit alors deux grands acteurs pour jouer le rôle de deux frères en constante rivalité. Et quoi de mieux que deux artistes que tout oppose : le premier est une star de cinéma mondialement reconnue qui enchaine les cérémonies de récompenses et les tournages à Hollywood (Antonio Banderas). Le deuxième est un talentueux comédien de théâtre, surnommé El Maestro, reconnu dans la sphère artistique mais inconnu du grand public (Oscar Martinez). Cette confrontation entre deux techniques de l’acting sera l’occasion pour Compétition Officielle de se faire affronter deux visions du cinéma. On suit donc durant le film toute la production, de la première lecture du script jusqu’à la sortie de l’œuvre dans des festivals internationaux.

Vous l’aurez bien compris Compétition Officielle est un pur film méta. Le millionnaire fictionnel du film parodie le vrai producteur de l’œuvre, Jaume Roures, millionnaire derrière le groupe Mediapro, que vous connaissez peut-être en France pour la catastrophique diffusion de la Ligue 1 pour la saison 2020. Ce dernier s’implique donc dans la production d’œuvres cinématographiques, loin de son domaine de base. Même chose avec les protagonistes principaux : Antonio Banderas joue quasiment son propre rôle de star espagnole qui sillonne les plateaux du monde entier tandis qu’Oscar Martinez est en effet un acteur de théâtre plus en retrait, malgré son excellent rôle dans le film Citoyen Modèle en 2016. Bien évidemment c’est la même chose pour le personnage de Pénélope Cruz, que le duo de cinéastes utilise pour critiquer le monde du cinéma contemporain, en s’appuyant sur des anecdotes de leurs propres vies. La dynamique de constante auto-dérision marche parfaitement, tout simplement car la diversité des situations empêche tout ennui. Que ce soit une conférence de presse, une lecture du scénario ou des exercices d’acting pour le moins originaux, on ne s’ennuie jamais devant Compétition Officielle.

© 2022 – Wild Bunch Distribution

Toute cette critique du monde artistique trouve son moyen d’expression par l’humour. Le duo Cohn-Duprat créer de nombreuses scènes hilarantes jouant sur divers types de comiques. Il y a bien évidemment une grande part de comique de situation avec cette confrontation entre deux univers, deux artistes qui n’ont rien en commun et qui se retrouvent à collaborer contre leur gré. Les scènes absurdes dans lesquelles Banderas et Martinez vont se confronter sont le moyen pour les réalisateurs de montrer l’absurdité de tout le système cinématographique. L’étirement volontaire de ces scènes, on pense par exemple à la scène des trophées ou à celle du rocher, va jusqu’à provoquer un malaise hilarant. Le comique de gestes ou de mots est également grandement utilisé : l’un des plus grands intérêts du film provient de l’alchimie entre les protagonistes. Dès les premières scènes le trio d’acteur principaux déploie toute une panoplie de jeu impressionnante. Beaucoup de rires proviennent des détails, que ce soit un regard moqueur d’Oscar Martinez ou un sourire étouffé de Penelope Cruz. Les interprétations sont le grand point fort du film et elles nous arrachent constamment des rires, ou au minimum un sourire de fascination.

Les metteurs en scène de Compétition Officielle ont ce don de mélanger tous les types d’humour pour ne jamais ennuyer leurs spectateurs. On pense par exemple au comique de répétition, utilisé lors de ces scènes géniales ou le personnage d’Antonio Banderas doit répéter encore et encore son texte avec une minuscule nuance à chaque fois. Son faux-mauvais jeu faisait exploser de rire la salle à chaque réplique et finalement ce type d’humour sait se faire rare dans le film, un point fort car on en profite sans jamais s’en lasser. Même les nombreux fusils de Tchekhov du film, c’est-à-dire le fait de placer un élément dans le premier acte pour qu’il devienne extrêmement important dans l’acte final, servent l’humour. Ils sont utilisés avec parcimonie et de manière extrêmement cynique. On est ici presque sur une forme d’humour noir. Un art dans lequel les metteurs en scène de Compétition Officielle sont déjà devenus des petits génies.

© 2022 – Wild Bunch Distribution

Ce qui marque également dès le premier visionnage du film, c’est son esthétique léché et très moderne. L’ensemble des répétitions du « film dans le film » se déroule dans un superbe complexe moderne et qui semble issu de l’esprit d’un architecte amateur d’art contemporain. L’association de divers motifs architecturaux représentant la psyché des personnages est une idée intéressante. Le bâtiment en lui-même est largement d’inspiration brutaliste. Ce mouvement architectural qui a connut une grande popularité à partir des années 1950 se distingue par la répétition de certains motifs, et par le caractère très « bloc de pierre » des œuvres. Dès le début du film on comprend avec cette construction que les deux acteurs vont être figés dans deux conceptions différentes de la vie, sans évolution possible. Dans l’enceinte du bâtiment, toujours dans la tradition brutaliste, on trouve de nombreuses fenêtres ou vitres. Même les tables sont en verre, l’occasion pour les deux réalisateurs de jouer sans cesse sur les reflets. Un moyen de symboliser la dualité entre les personnages mais également leurs propres paradoxes.

Mêmes les nombreux escaliers parsemant le film viennent eux aussi symboliser des faits se rapportant aux personnages. Les cinéastes ont toujours utilisé les escaliers pour montrer l’intérieur de l’esprit de leurs protagonistes (Kubrick avec Shinning, Hitchcock avec Vertigo, Todd Phillips avec Joker et bien d’autres encore). Ici c’est une fois de plus le cas, ils viennent symboliser la montée en puissance de la confrontation entre les deux personnages. Sans vous spoiler aucunement la final de cette confrontation ayant lieu au sommet (littéralement et figurativement), on remarque donc que l’architecture est une pièce centrale de Compétition Officielle. Un élément primordial au même titre que le son d’ailleurs. On tenait à saluer le travail d’orfèvre sur l’ambiance sonore, un petit bijou notamment lors de certaines scènes jouant avec divers instruments pour capter le son au cinéma. Un moyen de plus que les réalisateurs utilisent pour brouiller la frontière entre fiction et réalité.

© 2022 – Wild Bunch Distribution

Finalement ce qu’on retient de ce Compétition Officielle c’est une superbe virée méta au cœur d’un tournage hilarant. Vous l’avez bien compris avec le podcast C’est quoi le ciné-mois on adore à la rédaction parler de cinéma. Alors entendre des gens talentueux et qu’on admire parler également de leur rapport au cinéma, c’est si plaisant et jamais ennuyant. C’est quoi le cinéma selon ce nouveau film de Cohn et Duprat ? Le cinéma c’est avant tout une expérience collective, la confrontation entre plusieurs énergies complétement différentes pour un résultat explosif. A travers Compétition Officielle c’est leur propre cinéma qu’ils interrogent. Nous n’aurons pas la réponse à toutes les questions cinématographiques que soulèvent le film mais une chose est sûre : dans notre cœur il repart sans problème avec la Palme d’Or.

Compétition Officielle de Mariano Cohn et Gastón Duprat, avec Penélope Cruz, Antonio Banderas, Oscar Martinez – Au cinéma le 1 juin 2022.

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