[CRITIQUE] Arthur Rambo – La cancel culture par un professeur approximatif

Laurent Cantet trébuche avec Arthur Rambo, une provocation sur la culture de l’annulation et les méfaits des médias sociaux qui semble à la fois inefficace et étrangement dépassée. Cinéaste connu pour son approche humaniste des histoires d’injustice sociale, Laurent Cantet a toujours réussi à trouver le cœur battant qui se cache sous les titres et les statistiques apparemment banals qui encombrent quotidiennement les journaux et les chaînes d’information télévisées, qu’il s’agisse des conséquences du chômage généralisé et de la cupidité des entreprises (L’Emploi du temps, Ressources humaines) ou des difficultés d’un système éducatif défaillant (Entre les murs). Dans Arthur Rambo, nous suivons le jeune auteur à succès Karim D. (Rabah Nait Oufella) pendant 36 heures, alors qu’il passe du statut de vedette de la ville à celui de paria social après la découverte d’une série de tweets enflammés écrits sous son pseudonyme.

L’excellence (Antoine Reinartz et Sofian Khammes) autour d’une huitre (Rabah Nait Oufella).

L’une des premières séquences du film est aussi l’une de ses meilleures. La réaction de Karim à la découverte de son alias par les médias se déroule en temps réel, ses effets dévastateurs se manifestant lors d’une soirée de lancement de son deuxième roman, acclamé par la critique. Alors que la lueur des écrans de téléphone remplit le cadre, les yeux s’allument sur la controverse qui éclate, les fêtards commencent à fuir l’étoile montante, ses amis l’abandonnent, et une réunion organisée à la hâte révèle que son éditeur ne soutiendra ni ne promouvra plus l’homme qu’il saluait comme un génie quelques minutes auparavant. C’est dans ces moments-là que Cantet révèle une compréhension aiguë de la férocité des médias sociaux, de leur capacité à mâcher et recracher leurs victimes en quelques secondes, de la soif de sang sans fin qu’ils créent et alimentent chez leurs utilisateurs. Mais qualifier Karim de victime est une démarche douteuse, car les tweets en question se comptent par milliers et vont de l’antisémitisme à l’homophobie, en passant par la diffamation.

Karim considère Arthur Rambo comme une expérience sociale et artistique, une création qui se moque des fascistes qui adhèrent aux idéaux insidieux que le “personnage” épouse. Comme Karim le dit lui-même, “La seule chose que nous partageons tous les deux est notre colère”. Ainsi, au cours de ses brèves 86 minutes, Arthur Rambo tente de remettre en question la légitimité des défenses et des manœuvres intellectuelles de Karim. Comment des pensées aussi monstrueuses peuvent-elles coexister chez un homme actuellement salué pour son travail délicat sur les combats de sa mère, réfugiée politique algérienne dans la France d’aujourd’hui ? Peut-on jamais vraiment séparer l’artiste de l’art ? La plus grande partie d’Arthur Rambo est consacrée à Karim qui se morfond dans Paris, rencontrant divers amis et membres de sa famille qui remettent en question ses motivations et son identité, le réprimandant pour ses actions.

Deux regards, deux visions, deux raccourcis.

Et c’est là le plus gros problème du film : Karim est une feuille blanche, un défaut qui est là pour permettre aux spectateurs (et à Cantet) de projeter sur lui ce qui est nécessaire dans son portrait de la cancel culture, mais qui rend aussi le personnage fade et peu convaincant. Ce qui se passe n’est rien d’autre qu’une série de scènes interchangeables dans lesquelles les personnages posent des questions d’actualité sur le sujet du film, Cantet ne montrant pas la volonté de creuser sous la surface et vibrant plutôt avec la moralisation patente de cette exposition qui dure tout le film. Les amis de Karim étaient au courant des tweets et en riaient avant, mais maintenant ils sont indignés, leur hypocrisie les dispense-t-elle d’être coupables ? Le petit frère de Karim défend les tweets, disant qu’il a donné une voix à une partie de la population française qui a été moquée et rejetée dans les ghettos. En tant qu’arabe et musulman, quels rôles jouent l’ethnicité et la religion dans la réponse à ces tweets ? Karim est-il le reflet ou le responsable de tout un peuple du simple fait de son succès ? Ce sont toutes des questions importantes, mais Cantet les présente comme s’il donnait un cours de lycée de niveau moyen, abordant les points importants mais ne parvenant pas à les expliquer au-delà de leur provocation innée. Dans ses œuvres précédentes, ce type d’approche semblait délibéré, une façon d’humaniser ses sujets imparfaits et d’inviter à une discussion réfléchie sur leurs actions tout en refusant de porter un jugement.

Ici, c’est une déception, en particulier dans la fin du film, qui donne l’impression que Cantet abandonne tout simplement. Comme il l’a prouvé avec des projets passés aussi boiteux que L’Atelier et Vers le sud, Cantet est incapable de faire un film vraiment mauvais en soi, mais cela ne veut pas dire qu’Arthur Rambo n’est pas aussi mal conçu et bâclé qu’il est possible de le faire avec des sujets prétendument “enivrants”.

Note : 2.5 sur 5.

Arthur Rambo au cinéma le 2 février 2022.

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