[RETROSPECTIVE] The House that Jack Built – Jusqu’en enfer

Environ 5 ans après Nymphomaniac, Lars Von Trier signe son retour très attendu dans les salles obscures, mais surtout au Festival de Cannes, en Hors Compétition. Le réalisateur était déclaré persona non grata sur la Croisette depuis une malheureuse conférence de presse désastreuse pour Melancholia, mais l’eau a coulé sous les ponts, et il lui a été permis de revenir présenter son nouveau long-métrage.

The House that Jack Built (tiré du nom d’une comptine, symbolisant aussi la volonté du personnage de se construire une maison) propose l’histoire de Jack, un ingénieur, mais également tueur en série à ses heures perdues. À travers une discussion où il revient sur sa vie avec un dénommé « Verge », le récit se trouvera séquencé en 6 parties : 5 « incidents » (des meurtres, en fait) et un épilogue.

Comme dans ses autres films, le cinéaste adopte une mise en scène très brute, inspirée du dogme 95, presque documentaire, qui, avec ses nombreux balayages et zooms sur les visages n’est pas sans rappeler la série The Office. Ce parallèle n’est pas anodin, puisque le cinéaste exprime une volonté similaire de contraster une situation dramatique, en créant un décalage humoristique. The House that Jack Built est également une véritable comédie noire, absolument hilarante pour peu que vous soyez réceptif à ce type d’humour.

© Les Films du Losange

Le décalage est souvent apporté par le personnage de Jack, brillamment interprété par Matt Dillon, qui malgré toutes les atrocités commises, est guidé par ses pulsions mais freiné par ses angoisses (perfectionnisme, maniaquerie obsessive). Il est intelligent, disserte tout au long du film sur l’Art, la création d’une œuvre (on peut penser que c’est le réalisateur qui se questionne sur son propre rapport au cinéma), comme parallèle au meurtre, mais peut également se trouver très maladroit. 

Ce parti pris est intéressant car Lars Von Trier ne fait jamais l’apologie du meurtre, au contraire juge son personnage et ses actes, notamment par le biais de Verge (joué par le regretté Bruno Ganz), qui le remettra à sa place de nombreuses fois en cas d’arrogance ou de mauvaise foi, mais il réussit grâce à tous ces défauts à rendre Jack presque attachant et à faire ressentir de l’empathie au spectateur pour sa quête.

Lors de son épilogue aussi brillant que barré, le cinéaste nous embarque dans une réécriture de La Divine Comédie de Dante où il visite les enfers accompagné de Virgil (Virgil, Verge… tiens donc), et se permet notamment un élan stylistique incroyable où il va reproduire le tableau de Delacroix, La Barque de Dante, tranchant avec la démarche visuelle globale du film, comme il l’avait déjà fait dans Melancholia par exemple. 

© Les Films du Losange

À ce titre, l’idée de tableau, d’œuvre d’Art est centrale dans l’esthétique du film, et dans la pensée du personnage, puisque Jack tente de transformer ses meurtres en une pièce artistique unique. Un résultat des plus macabres, qui marque la rétine au fer rouge comme Von Trier sait si bien le faire.

The House that Jack Built est sans doute un des films les plus denses du cinéaste danois. En effet plusieurs grilles de lecture se superposent : une comédie noire sur un serial-killer, un film méta dans lequel Lars Von Trier s’interroge sur son rapport à l’Art, ou bien une descente dans les profondeurs les plus sombres de l’âme humaine, tentant d’apporter une réflexion sur le Mal.

Le film est subversif, violent, sadique, et ne vous laissera définitivement pas indifférent. Cependant, il est aussi très drôle et fascinant. Assurément un des meilleurs films de l’année 2018, et un des plus intéressants de la décennie précédente.

The House that Jack Built de Lars Von Trier, 2h35, avec Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman – Ressortie au cinéma le 12 juillet 2023 dans le cadre de la rétrospective Lars Von Trier, projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma

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