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[RETROSPECTIVE] Mission: Impossible II – La Danse du Feu

Peu de temps après le premier film réalisé par Brian De Palma, Tom Cruise et les producteurs confient le deuxième volet à John Woo, maître du cinéma d’action hongkongais expatrié depuis quelques années aux États-Unis. Bien que les deux cinéastes aient des empreintes visuelles complètement différentes, leurs films ne sont pas si éloignés. Afin d’empêcher la propagation d’un virus mortel, Ethan Hunt repart en mission et doit laisser Nyah, avec qui il vient de nouer une relation amoureuse, partir en infiltration pour séduire l’espion devenu terroriste Sean Ambrose, qu’elle connait déjà. Si ce bref synopsis vous rappelle quelque chose, en dehors des motifs récurrents du genre, c’est parce que c’est une relecture assumée du film Les Enchaînés (Notorious) d’Alfred Hitchcock. Et oui, Robert Towne, également scénariste du premier volet, place à nouveau la saga dans un héritage profondément hitchcockien.

Brian De Palma, dont le style est déjà imprégné depuis longtemps du travail du maître du suspense, confère au film de 1996 une esthétique froide, millimétrée mais vertigineuse. John Woo vient dynamiter tout cela en injectant une dimension plus flamboyante et émotionnelle. En effet, le cinéaste fait preuve d’une maestria ahurissante dans la mise en scène de l’action, mais il est aussi très doué pour mettre l’accent sur l’émotion. Son attrait pour le mélodrame dans la violence est hérité des « Ninkyo eiga » des années 60 (films de yakuzas chevaleresques) et de l’œuvre de Chang Cheh, pour qui il a travaillé, précurseur du « Heroic Bloodshed » à Hong Kong, un genre que John Woo popularisera dans ses grands polars des années 80.

Chaque scène d’action de Mission: Impossible II transmet quelque chose. John Woo parvient toujours à faire ressentir une sensation, à stimuler le spectateur grâce à des idées visuelles, ou à faire culminer une scène sur un enjeu émotionnel pour les personnages. Il insuffle une âme, un cœur qui bat sous ce déchaînement pyrotechnique, que beaucoup de cinéastes hollywoodiens n’arrivent pas à reproduire. Bien que ces scènes d’action ne soient pas parmi les meilleurs de sa filmographie, compte tenu des chefs-d’œuvre absolus qui la composent, elles restent tout de même terriblement saisissantes.

Le cinéaste utilise parfois des répétitions de plans, en les prolongeant pour décomposer la chorégraphie de mouvements spectaculaires, ce qui les ironise davantage. Cette technique rappelle celle utilisée par Tsui Hark dans Il était une fois en Chine, où il montrait plusieurs fois un coup de pied de Jet Li. On retrouve le même procédé ici lorsque Tom Cruise assène un grand coup de pied après un salto, ou lorsqu’il tire en faisant déraper sa moto. Cette iconisation fonctionne à merveille, surtout lorsqu’elle est agrémentée des superbes ralentis caractéristiques de John Woo.

John Woo filme les morceaux de bravoure électrisants comme un ballet de flingues et d’explosions, sublimant les mouvements. Rien d’étonnant, car il a déjà déclaré en interview qu’il adorait filmer la danse et qu’il essayait de filmer l’action de la même manière. Cet attrait est également visible dans la première partie du film, avec une courte scène de flamenco qui marque la rencontre entre Ethan et Nyah, puis dans une scène ultérieure où ils tombent amoureux en se livrant à une danse de séduction au volant de leurs voitures.

En plus d’une maestria visuelle délirante, on reconnaît également le style de John Woo et certains motifs qu’il affectionne dans la narration. Tout d’abord, la dynamique des personnages principaux : un duo opposé, Ethan Hunt et Sean Ambrose, et une femme, Nyah, prise au milieu de leur conflit. Cela rappelle son chef-d’œuvre The Killer, dans lequel Chow Yun-fat et Danny Lee étaient en opposition, avec Sally Yeh au milieu. De plus, il est possible que l’utilisation de masques de visages humains que les personnages peuvent porter soit un élément important pour John Woo, qui venait de réaliser le génial Volte/Face, dans lequel John Travolta et Nicolas Cage échangeaient leurs visages et leurs voix.

Il est d’ailleurs probable que ce soit le film de la saga qui utilise le plus et le mieux les masques. Par exemple, la scène au milieu du film où Ambrose se fait passer pour Hunt devant Nyah afin de confirmer sa trahison est absolument passionnante. Sean Ambrose est un espion hors pair, mais il n’est pas du niveau d’Ethan Hunt, et il se retrouve contraint de revêtir son visage pour accomplir une mission. Cette jalousie, déjà très présente dans son domaine d’expertise, devient insupportable lorsqu’il se rend compte que non seulement la femme qu’il aime le trahit pour le compte de Hunt, mais qu’elle est également tombée sous son charme. Un sentiment de désarroi total qu’il exprime dans cette fameuse scène, où il finit par s’arracher le visage de Hunt en pleurant.

Leur confrontation se termine par un combat à mains nues brutal sur une plage australienne, avec les vagues puissantes se heurtant aux rochers. Le décor rappelle presque un duel entre deux figures mythologiques, ce qui est sous-entendu plus tôt, notamment dans le choix des noms du virus et de l’antidote, Chimère et Bellérophon respectivement. L’eau et le sable se substituent ici aux flammes et au bitume de la course-poursuite à moto ahurissante entre Ethan et l’équipe d’Ambrose. Ce feu d’artifice final est inoubliable, et Tom Cruise est rarement aussi classe, ce qui n’est pas peu dire compte tenu de sa carrière.

Il est difficile de comprendre pourquoi une grande partie des spectateurs a désapprouvé ce deuxième volet. Peut-être s’agit-il d’une méconnaissance du cinéma de John Woo, qui peut être déstabilisant ? Ou bien est-ce une question de goût face à ce style visuel au kitsch assumé ? Pourtant, c’est précisément ce qui fait en partie le charme du film, et cette couleur est annoncée dès le début avec la reprise rock du célèbre thème de Lalo Schifrin par Hans Zimmer, après une introduction littéralement vertigineuse.

Nous sommes ensuite plongés dans un cadre narratif très efficace aux contours hitchcockiens, mêlant la folie du cinéma d’action hongkongais, la maestria flamboyante de John Woo et une esthétique criarde typique des années 2000. Ces ingrédients en font un cocktail explosif, mais surtout l’un des films les plus intéressants et jouissifs de la saga, à une époque où la vision des réalisateurs pouvait encore s’exprimer avec force, avant que Tom Cruise ne prenne définitivement les rênes en tant que producteur, tout en conservant un certain sens du spectacle.

Mission: Impossible II de John Woo, 2h06, avec Tom Cruise, Dougray Scott, Thandiwe Newton – Sorti au cinéma le 26 juillet 2000

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