Inspiré des vies de ses acteurs, My Dinner with André déroute et contraste avec le travail antérieur de Louis Malle. Le cinéaste a toujours à cœur de mettre en scène des personnages tourmentés par leurs passions, et il étend ici une conversation entre amis évoquant leur passé et présent professionnel. Les deux ont collaboré à la fin des années 70 en disposant d’un théâtre à New York, tombé dans l’oubli. Les dialogues ont une importance centrale, dans leur tempo rappelant quelque peu la grande période du cinéma de Woody Allen. Wallace Shawn et André Gregory jouant leurs propres rôles, ils conversent sur le théâtre expérimental, l’un questionnant l’autre et répondant ensuite. Dans une recherche dialectique, ils s’apprivoisent comme s’ils venaient de se rencontrer.
Cette production indépendante interpelle tant elle se suffit à son simple titre. Un dîner passé avec André, pas franchement envisagé par Wallace. Sans jugement envers son compagnon de table, André rappelle Wallace à l’ordre sur ce qu’il pensait à son sujet avant de le revoir. Ce n’est pas l’homme meurtri que l’on décrit dans les journaux, et il le surprend par sa vivacité à répondre sans avoir peur de se mettre à nu. Se plaignant en voix off à l’idée de ce dîner, il décide de questionner uniquement. Quant à André, il est sûr de lui et monopolise la parole pendant une grande partie du repas. Le fossé entre les deux personnages se creuse par leurs temps de parole, et Malle ne cherche pas à rendre l’un plus sympathique que l’autre. Ils sont incompatibles dans leur manière de communiquer, voilà tout. La conversation est laissée sur un sentiment d’inachevé, forcée de se terminer.
L’idée singulière du projet part d’une volonté de Malle à renouveler la forme de ses films en permanence, habitué de la Nouvelle Vague française mélangeant réalité et fiction. Tourné en deux semaines, My Dinner with André dispose d’une mise en scène pour le moins concise : dans l’alternance du champ-contrechamp au gros plan puis rapproché, sans aucune mise en abyme des histoires racontées par les deux hommes. L’abstraction des dialogues renvoie toutefois à un souhait particulier d’André d’être entendu, et rassuré par Wallace. Puisse-t-il le comprendre, et à cela les sourires de Wally paraissent faux et dénués de sens. Sur le chemin du retour, il ne paraît pourtant plus voir la ville de la même manière. L’influence d’une pièce où il n’avait pas la mainmise.
My Dinner with André est une expérience radicale, un objet de cinéma interrogeant la réalité et le cinéma. Les acteurs ne jouent pas la comédie, mais réagissent en live sur tout et rien à la fois. Il n’y a pas d’artifice dans leur relation, et la comédie se renouvelle par la captation des mimiques, rires, et discours imparfaits. Wallace et André reprennent la méthode de la troupe Tg Stan avec respect, sans en simplifier ses moyens.
My Dinner with André de Louis Malle, 1h50, avec André Gregory, Wallace Shawn, Jean Lenauer, au cinéma le 6 septembre 2023.
