[RETROSPECTIVE] Atlantic City -Régénérescence urbaine

Dans les années 1970, Louis Malle tente de s’imposer à Hollywood parmi toute une génération dorée de réalisateurs –auteurs comme Martin Scorsese, Steven Spielberg et Francis Ford Coppola, propulsés dans le grand bain grâce à leurs œuvres ambitieuses.

On voulait combiner l’ancien et le nouveau (…). Le personnage de Burt Lancaster (…) représentait le passé et le personnage de Susan Sarandon, qui habitait le même immeuble, représentait ces gens venus de toute l’Amérique, avec leurs rêves… C’est bien évidemment une métaphore de l’Amérique même.

Louis Malle

Atlantic City est une ville balnéaire située sur la côte atlantique du New Jersey. La ville est connue pour son hémisphère épicurien, comme sciemment illustré dans le film : bar à huîtres, casinos, hôtels de luxe et de vastes plages qui promettent des ballades dotées d’une vue imprenable. Un dôme urbain qui paradoxalement étouffe et cajole les protagonistes, qui subissent les fluctuations imposées par la ville. Sally (Susan Sarandon) veut quitter Atlantic City dans l’espoir de devenir une grande croupière à Monte Carlo avec son mentor Joseph (Michel Piccoli), qui ne cesse de la faire saliver en attisant son fantasme monégasque.

PETITS SECRETS ENTRE VOISINS

Serveuse dans un casino, Sally est prise de cours par une colocation improbable : son mari, Dave (Robert Joy), un malfrat inexpérimenté, s’impose chez Sally après avoir mis enceinte la sœur de cette dernière. Dave trouve par hasard de la drogue et tente de revendre la substance avec l’aide de Lou (Burt Lancaster), le voisin de Sally. Démasqué par les propriétaires de la marchandise, Dave est abattu. Lou figure alors au cœur d’un business florissant; qu’il interprète comme un coup de pouce du destin. C’est à travers cette malheureuse opportunité que ce dernier entrevoit l’heureux projet d’accomplir son fantasme d’antan : incarner un omnipotent gangster.

Cette position de pouvoir vient mettre un gros coup de fouet à son train de vie monotone – consistant habituellement à prendre soin nuits et jours de Grace, une diva vieillissante, veuve d’un gangster pour lequel Lou avait l’habitude de travailler auparavant. Jusqu’au bout, la figure de la femme de gangster se doit d’être entretenue.

ZESTE DE CITRON
© Malavida Gaumont

Lou s’émancipe alors de son rôle de retraité au foyer pour vivre la grande aventure auprès d’une charmante jeune femme qui, elle aussi, cherche à vibrer. La folie à deux incarne une mise en abyme fantasmatique où ce désir d’aventure se transpose au désir que Lou éprouve lorsqu’il l’épie par la fenêtre alors qu’elle s’adonne à son rituel corporel citronné. Ces scènes, d’une sensualité sans nom, illustrent parfaitement la distance entre ces deux protagonistes : l’une est belle, jeune et active, lorsque l’autre est d’un âge certain, dégradé et passif (à l’image du voyeurisme qu’il exerce). Mettre en scène une icône masculine Hollywoodienne dans cette situation d’impuissance représente un pari courageux pour Burt Lancaster qui offre avec générosité un jeu d’acteur sensible, d’un homme en quête de repères et qui plonge son espoir dans celui d’une âme aussi fragile que la sienne. Il s’agit alors d’aller puiser chez un autre, chez un alter souffrant d’un désordre psychique similaire, dans le but d’y extraire un élixir de jeunesse. De fait, cette possession de drogue engendre une position de force, semblable à une breuvage addictif. Cet événement fait alors office de fontaine de Jouvence préemptée par le septuagénaire, refusant de détacher ses lèvres de ce tourbillon enivrant. Cette soif tendrait même à interpréter le personnage de Burt Lancaster comme un Dracula – les deux semblable donnent un sens à leur existence par un venin injecté à une jeune femme.

La ville balnéaire offre un rêve américain inespéré au vieil homme – ce rêve qu’il espérait lorsqu’il était jeune et fort. Lou déambule avec incertitude entre son hypnotique fantasme et une désillusion qui le force à se sentir ridicule d’y croire. Sally et Lou vacillent main dans la main dans une ville qui s’effondre et se régénère grâce au dynamisme financier que la ville produit – l’un des premiers plans illustre la destruction d’un casino dans un tumulte grinçant contrastant avec une toile de fond musicale signée Michel Legrand. Les protagonistes demeurent complices et enchaînés à une lubie conjugale. Le mythe de Bonnie and Clyde revisité, où il s’agit d’initier l’autre à une cavale sans fin.

Atlantic City de Louis Malle, 1h44, avec Burt Lancaster, Susan Sarandon, Michel Piccoli, sorti le 3 septembre 1980.

0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *